Elle aurait voulu dormir plus longtemps.

S’enrouler dans la literie de son lit et n’ouvrir les yeux que lorsqu’elle l’aurait décidé. Mais l’odeur moisi du sofa qu’elle avait occupé toute la soirée en avait décidé autrement. Il lui chatouillait intolérablement les narines et manqua de la faire éternuer à répétition. La léthargie avait pris fin et les douleurs dorsales s’amorçaient aussitôt. Une grimace matinale lui vint alors qu’elle grommela quelques mots inaudibles qui ne valaient pas la peine d’être entendue et passa sa main dans son dos. Elle ne s’était pas sentie aussi raide depuis longtemps, mais en dormant sur un sofa, elle aurait dû s’y attendre. Elle n’avait pas eu le choix, l’odeur du lit lui était moins supportable que celle du canapé. Entre la pestilence et le moisi, le choix avait été vite fait.


Après s’être mollement hissée jusqu’à l’une des fenêtres, elle scruta le ciel. Quelle heure était-il ? D’après le ciel, il devait être tôt. Toujours aussi gris observa-t-elle. Un paysage navrant, les ruelles vides, une véritable ville fantôme. Et les bâtisses brûlées par-devant sa fenêtre confortaient Carrie dans son sentiment de malaise. Avec un décor aussi funeste, elle ne serait pas surprise d’apprendre que la ville traînait derrière elle un sinistre passé tant la mélancolie qu’elle dégageait lui parut presque palpable et la fragrance de bois brûlée encore fraîche. Des bâtiments calcinés. Y avaient-ils encore des gens quand les flammes les avaient consumés ? Si cet immeuble logeait encore, ceux-là le faisaient très certainement aussi. De peur que son imagination ne lui joue des tours, elle détourna le regard. De toute manière, elle avait d’autres choses à faire, comme trouver Jake Jessie et Sawyer. Ils ne devaient pas être bien loin si c’est le seul hôtel...Et s’ils sont toujours là. Il n’y avait qu’à vérifier.


S’armant de motivation, Carrie prit une douche éclaire malgré l’odeur de soufre qui en dégageait et se para du peu de vêtements propres qu’elle avait gardé dans son sac. Il lui faudrait aller récupérer le reste. Après avoir s’être poudrée le nez, elle prit ses clés et sortit de son appartement qu’elle ferma à double tour. Elle descendit les escaliers rapidement et tâta ses poches. Mince. Son téléphone. Cela voulait dire qu’il lui faudrait de nouveau gravir les escaliers et visiblement, cette idée n’avait rien d’agréable. Mais même sans wi-fi, un téléphone resterait toujours utile. En râlant, Carrie monta de nouveau les marches et se dépêcha d’aller prendre le téléphone posé sur la table de chevet. Elle avait laissé la porte ouverte par mégarde, chose qu’elle apprendrait plus tard à corriger. Mais pour l’heure, des bruissements tintèrent à son oreille, puis des pas. On descendait. Et puisque la voisine du dessous habitait deux étages plus bas, c’est qu’il y avait bien quelqu’un d’autre. Les pas devinrent plus bruyants à mesure qu’ils se rapprochaient de sa chambre, puis enfin, ils prirent fin et l’unique raison à cela, c’est qu’elle avait atteint sa destination. Alors, Carrie se tourna pour observer son visiteur. Elle n’attendait personne, et dans un appartement aussi lugubre, elle n’était pas certaine de vouloir qu'il en soit autrement.

Sauf si elle avait affaire à une jumelle que son amie lui avait cachée, Jessie se trouvait bien là à la dévisager d’un air surpris très vite rattrapé par l’une de ses moues frustrées qui avaient de quoi faire peur à Godzilla. Inutile de se jeter dans ses bras d’après le regard noir qu’elle lui lança. Encore une fois, elle allait se faire tancer par sa mère secondaire à peine plus âgée qu’elle. Ça n’avait pas loupé. D’un mouvement flasque, Carrie agita sa main pour exposer le désagrément que lui causait Jessie. Si elle lui lançait la perche, la discussion s’éterniserait, elles monteraient dans les tours et les maux de têtes naîtraient. Aucune d’elles n’en avait besoin surtout de si bon matin.

- Je vais être gentille et prendre ça pour un « Carrie, tu m’as tellement manqué ».

Bien sûr, elle aurait dû s’y attendre. Une journée ne suffirait pas à troquer sa nature pour une autre. Mais Carrie avait voulu faire preuve d’optimisme qui s’était révélé dérisoire. Elle aussi, elle l’avait cherché pour en fin de compte ne se confronter qu’à une voiture vide. La seule chose bonne à savoir dans toute cette histoire, c’est qu’elle n’était pas partie sans elle. Elle n’aurait jamais osé. Bien sûr. Comment avait-elle pu imaginer autre chose ? Si jamais Jessie prenait connaissance des scénarios plus inimaginables les les uns que les autres qu’elle s’était imaginée, elle exacerberait son aigreur et Carrie ne donnait pas cher de sa peau. Il valait mieux garder le silence.

- Je vous ai cherché aussi, mais quand je suis retournée dans la forêt, il n'y avait personne dans la voiture. Vous étiez où ?

Hormis l’hôtel, Carrie ne voyait pas où ils auraient tous pu se rendre. Il n’y avait rien à visiter et les gens étaient si aigres que la solution la plus sage qu'un étranger pourrait avoir c'est se tenir éloigné de ces gens-là. Ce n’est qu’en se questionnant qu’elle remarqua l’absence de Sawyer.

- Il est où Sawyer ?

Son absence l’étonna. Il n’avait pas cessé de coller Jessie et n’aurait pas manqué l’occasion de le refaire une fois encore. Jessie avait probablement dû l’engueuler et forcé à prendre ses distances. Autrement, elle ne voyait pas d’autres solutions.