Sonaalenne n'arrive pas y croire. C'est impossible, je suis en train de rêver. ou bien Une malédiction s'est abattue sur moi. sont les phrases les plus courantes qu'elle se répète pendant tout le temps que dure le trajet, ses yeux accrochés sur le dos de la sorcière Nevroze. Elle avance doucement, terrorisée de la situation qu'elle persiste à prendre pour un piège. Il est évident que Nevroze ne va pas la conduire jusqu'à l'école, et qu'elle profitera d'un moment où personne ne les regardera pour lancer ses chiens sur elle et leur ordonner de la dévorer. Et pourtant, il n'en est rien ; elle arrive à destination sans qu'aucun monstre ne croise leur route, comme si une barrière invisible les avait protégées durant le trajet. Sa barrière invisible. Bien entendu, c'est sa magie à elle qui a produit un tel miracle. Mais pourtant, Sonaalenne n'en croit pas ses yeux lorsqu'elle arrive aux pieds de l'immense école, vivante et en bonne santé, et non allégée d'un morceau de corps...

Bizarrement, dans ce contexte, l'école l'intimide. La structure, de son point de vue actuel, lui paraît gigantesque comparée aux autres fois où elle est venue, la contemplant de loin sans jamais y entrer. Les murs la dominent de toute sa hauteur, et pour la première fois de sa vie d'adulte, elle se tient prête à y entrer. Mais dans quelles conditions ? Elle en tremble d'avance.

" Nous y voilà. Quelle est la suite, à présent ? Quelqu'un nous attend à l'intérieur ? "

Elle a presque oublié la présence de la Sorcière, qui la ramène à la réalité. Elle tremble encore plus fort. La question la prend au dépourvu. Elle ne sait pas, elle n'a aucune idée de ce qu'elle doit chercher. Objet ? Personne ? Endroit ? Livre ? Carte ? Elle ne sait pas. Et devoir prononcer ces mots à haute et intelligible voix la terrorise encore plus. Que dira la Sorcière si jamais elle avoue son ignorance ? Le jeu s'arrêtera certainement ici, à l'entrée. Ses lèvres tremblent. Sonnalenne lutte contre sa peur. Les questions de Nevroze la terrorisent. Les réponses la terrorisent. Lui répondre la terrorise. Et sa potentielle réaction lui donne envie de s'évanouir sur place. Des larmes coulent encore une fois de ses yeux. Sonnalenne joint ses deux mains l'une contre l'autre en un poing fermé qu'elle porte à ses lèvres. Elle va le lui dire... Elle va le lui dire, et ensuite, elle sera morte...

" Je... Je ne sais pas ce qu'il y a l'intérieur. Je ne sais pas ce qu'on doit chercher. " La bile lui bloque la gorge. Elle renifle bruyamment, les mains secouées de spasmes.

Sonaalenne ne comprend rien. Ce qui ne signifie pas qu'elle ne comprend pas les paroles, non. C'est la situation qui lui échappe, l'enchaînement illogique des événements. Le comportement de la Sorcière et de ses réponses la déconcerte. Elle ne sait pas comment réagir. Mais sa dernière phrase lui fait l'effet d'un électrochoc. Dépêche-toi, tes manières commencent à m'ennuyer. Elle balbutie quelque chose, des sons incompréhensibles sans aucun sens alors que ses jambes bougent toutes seules. Elle s'active à rentrer alors qu'elle n'est même pas encore redressée, et se retrouve devant les portes de l'école. Cet instant l'intimide, elle qui n'a encore jamais osé rentrer ici toute seule. Elle sait ce qu'elle y trouvera derrière : des monstres, assurément. Mais quoi d'autre ?
" Je ne sais même pas ce que je dois chercher. Un coffre ? Un message ? " Elle pousse la porte de droite, fébrile, et se glisse par l'entrebâillement. Son cœur bat à cent à l'heure.

Les monstres sont là, elle les entend. Grouillant comme des fourmis dans les pièces longeant le couloir, une force invisible, sûrement, les empêche d'en sortir. Mais est-ce suffisant ? Sonaalenne balaye le couloir du regard, à la recherche d'un objet, d'un indice pouvant s'apparenter à ce qu'elle doit trouver, mais les informations dont elle dispose sont si maigres qu'elle ne sait même pas sur quoi s'attarder. Elle n'a jamais mis les pieds ici, elle ne sait même pas à quoi ressemble l'endroit en temps normal. Est-ce un trésor caché dans un coffre ? Une lettre ? Un mot inscrit sur un mur peut-être ? Elle n'en a pas la moindre idée, et au fur et à mesure qu'elle balaie l'endroit du regard, une certitude bien plus angoissante grandit en elle. La certitude que, quoi qu'il arrive, elle devra, à un moment donné, ouvrir une de ces portes et y pénétrer pour fouiller. Et ça, elle n peut s'y résoudre. Cependant, une autre menace, bien plus immédiate, la menace en ce moment-même. Elle imagine la voix de Nevroze la héler de l'extérieur et lui dire : "Bon, alors, tu te dépêches ! Je n'ai pas que ça à faire !" et les chiens la menacer de leurs crocs aiguisés et de leur gueule sanguinolente. Et les autres monstres, à l'intérieur, s'agiter dans les pièces, se rendre compte de l'emprise qui les maintient enfermés, s'aventurer vers la porte, sortir et la découvrir. Le reste, elle n'ose l'imaginer... Elle frissonne. L'envie de pleurer la reprend, elle avale une gorgée d'un je-ne-sais-quoi et essaie de se reprendre. Le couloir, d'abord. Elle verra ensuite.

Le couloir est vide. En tout cas, elle n'entend ni ne voit le moindre monstre. Elle déglutit. Les monstres sont forcément quelque part, et les portes fermées lui intiment qu'ils sont certainement reclus à l'intérieur. Est-ce l'oeuvre de la sorcière ? A-t-elle personnellement fait en sorte que tout soit fermé à son arrivée, de sorte qu'elle puisse chercher, avec toute sa couardise, ce trésor inconnu sans que rien ne vienne l'en dissuader ? Mais dans ce cas, comment aurait-elle fait ? A-t-elle des pouvoirs encore inconnus d'eux, et qui lui permettent, à distance, de contrôler tous les bâtiments et éléments du village sans avoir besoin de les voir ? Des dons de télépathie ? Ça paraît tellement dingue. Et au milieu de ce couloir, au milieu de toutes ces portes closes, elle aperçoit une seule porte, entrebaillée, qui lui souffle à l'oreille que c'est là qu'il faut aller. Elle tremble alors qu'un frisson de froid la surprend. Non, ce n'est pas l'oeuvre de la Sorcière, ça. Elle même l'a déclaré sans honte : elle ne connait pas l'existence d'un tel trésor, elle ne fait que participer au "jeu" par amusement, rien de plus. Alors, si ce n'est pas la Sorcière, ce sont forcément Eux... Ses collègues.
Intérieurement, Sonaalenne sourit. Par ce geste, elle voit la grâce et l'attention particulière qu'on lui porte. Une attention bienvenue de bienveillance à son égard. Ils lui ont montré la voie. Et sottement, elle se rend compte : elle n'a même pas d'arme sur elle pour se défendre. Que se passera-t-il si des monstres ont réussi à sortir et se trouvent à l'intérieur ? Elle ne peut même pas se défendre. Quelle imbécile !

Elle ferme les yeux, respire profondément, et s'approche sans bruit de la porte entrebâillée. Elle s'arrête à hauteur de la porte, et se colle contre le mur, écoutant dans ce silence si des bruits proviennent de l'intérieur de la pièce.
Ça paraît trop facile.

Les grouillements et les pleurs lui viennent aussitôt. Elle devine qu'ils sont trop nombreux, et ne se risque pas à regarder par l'entrebâillement pour les compter. Les entendre, c'est déjà trop. Elle se recule instinctivement. Comme si cela pouvait la sauver... C'était évident, elle les a parqués dans les salles pour lui permettre de progresser, sans penser qu'ils pourraient avoir été enfermés dans la pièce dans laquelle elle devait se rendre, sans arme.
Un instant ! N'est-elle pas en train de maudire intérieurement la Sorcière de ne pas avoir réfléchi ? Misère ! Et si celle-ci entend dans les esprits ? Comment réagira-t-elle si elle perçoit ne serait-ce qu'une poussière de ce qu'elle... " Mon dieu... Ressaisis-toi. Si tu en es là, c'est entièrement de ta faute. "

Sonaalenne se colle dos au mur. La lumière perce à travers tous les interstices que cet endroit offre par sa décrépitude. Elle n'est pas dans le noir, c'est déjà ça. Et dehors, à quelques mètres, l'attend la Sorcière avec son goût bizarre du jeu. Oserait-elle pousser l'audace encore plus loin, et lui demander... Sonaalenne ferme les yeux, et s'imagine encore une fois tous les scénarios possibles. La Sorcière s'agace et la tue. La Sorcière s'agace et envoie les chiens. Elle est dévorée dans d'atroces souffrances... La Sorcière soupire et s'en va, la laissant seule avec son énigme. La Sorcière... Mais qu'est-ce qu'elle en sait ? Le saura-t-elle jamais, elle qui ne lit pas dans les esprits ? Elle est incapable de se mettre à la place d'un esprit aussi détraqué, alors à quoi bon se faire des scénarios ? Elle est coincée, de toute manière. La seule solution qu'elle ait serait de se jeter dans la pièce, chercher des yeux quelque chose d'inhabituel dont elle n'a aucune connaissance, et prier pour s'en sortir en entière. Et ensuite, ensuite, si jamais elle y arrivait, et qu'elle donnait le dû à la Sorcière, Celle-ci la laisserait-elle partir libre pour avoir trouvé l'énigme du jeu ? Encore une fois, elle n'en savait rien. Elle n'avait qu'une seule option, celle de faire demi-tour.

Sonaalenne porta ses onglets à sa bouche et les mordilla. Elle n'avait pas le choix. Elle fit demi-tour, et s'approcha de la porte d'entrée de laquelle elle venait. Au-dehors, il faisait jour, bien que le soleil fut caché par une épaisse couche de nuages blancs. Les rayons ne perçaient jamais, par ici, et il faisait froid, malgré tout. Elle poussa la porte, et regarda timidement dehors, si la Sorcière était encore là.

" Je... Je suis désolée. Il y a une pièce ouverte, mais... il y a des monstres à l'intérieur. " Elle déglutit, et termina : " Et... je n'ai pas d'arme pour me défendre. Je ne peux pas rentrer. "