Sue suivit du regard la progression de Konfety vers la cuisine, sa façon d'allumer la lumière et de brandir sauvagement sa machette. Puis de ne rien faire. Les instants filaient et la jeune fille ne bougeait pas d'un iota, comme si quelque chose l'avait pétrifiée sur place. Qu'attendait-elle pour aller manger son beurre ? Elle n'avait pas beaucoup de temps et en perdait à ne rien faire. Quinze minutes, ça passe très vite. Allait-elle vraiment attendre que son gage ne tombe sans rien faire ? Dieu que cette fille pouvait être agaçante.

Le lieutenant trouvait parfaitement étrange le comportement de Konfety, peut-être parce qu'elle n'était pas à sa place et qu'elle n'avait donc pas à psychoter sur ce qui allait lui arriver si elle entrait dans la cuisine. Ou peut-être parce qu'elle aurait bricolé un moyen de se rassurer et de sécuriser le terrain.
La situation la rendait nerveuse. Pourtant le défi de Konfety ne la concernait pas. Elle lui avait déjà transmis l'indication sans encombre, elle n'avait plus aucun rôle à jouer là-dedans. Et pourtant attendre sans rien faire que Konfety ne meure d'une manière ou d'une autre lui était insupportable.

-Va le récupérer, je te couvre, murmura-t-elle à la défiée.

Arme au point, un pied dans l'embrasure de la porte à côté de Konfety, Sue avait fini par décider de s'en mêler.
Elle ne savait pas ce que redoutait la Belyi dans la pièce illuminée mais quoi que ce fut, cela ne se manifesterait pas si elle attendait sans entrer et ce serait alors le manque de temps qui viendrait raccourcir sa vie.

Konfety sursauta légèrement lorsque Sue apparut dans son dos, et lui murmura qu'elle allait la couvrir, le temps qu'elle aille chercher son pot de beurre. Elle n'avait pas la moindre idée de l'heure qu'il était, et donc ne savait absolument pas combien de temps il lui restait avant que les quinze minutes offertes ne soient dépassées, et que la sentence s'abatte sur elle. Quoi qu'il en soit, il lui en restait moins que l'instant précédent, c'était une chose dont elle pouvait être sûre. Il n'y avait plus de temps à perdre. Il lui fallait donc faire confiance à la fliquette, avancer vers la table, prendre le pot, le vider de son contenu la minute qui suivait, si peu qu'il lui en restait au moins une, et sortir de cette cuisine pour aller récolter le prochain message.

Une sueur froide glissa le long de son dos, et la fit trembler. Le temps lui paraissait s'écouler à toute vitesse, et quand bien même elle ne savait même pas ce qu'il en était, si les secondes avaient autant défilé, ou s'il ne s'était écoulé que quelques secondes depuis son entrée, elle avait l'impression que la fin était toute proche. Perdre encore du temps, c'était se condamner. Alors sans hésiter un seul instant de plus, elle s'avança vers la table, prit le pot, l'ouvrit - espérant avec toutes les sombres pensées qu'elle pouvait bien avoir que ce pot n'était pas forcé de sorte de l'empêcher de terminer sa tâche - et avala par grosses gorgé le contenu liquéfié dégoûtant. Après quelques gorgées, elle sentait déjà sa gorge se gonfler d'un poids qui s'agitait et la sommait de sortir. La bile lui montait. Elle prit une grande inspiration, et cette fois avala plus qu'il n'en fallait, le but étant d'en finir le plus rapidement possible.
Si la tâche avait été, pour la coupable, de la faire vomir, et bien Konfety prendrait soin de ne pas donner satisfaction. Elle avalait aussi vite qu'elle le pouvait, tout en prenant soin de bien respirer, et lorsque le pot fut complètement vidé, elle prit une dernière inspiration, la plus grande qu'elle ait jamais prise, et lâcha le pot qui s'écrasa sur le sol.
Vite, elle se retourna, et sortit de cette pièce confinée en direction de l'entrée. Elle espérait qu'un mot lui serait adressé, celui stipulant qu'elle avait réussi la mission et qu'une autre les attendait.

Il n'y avait rien dans la pièce. Il n'y avait rien partout ailleurs autre que le pot de beurre posé au milieu de la table, mis en évidence comme un trophée. Un trophée bien banale déjà décapsulé. Il n'y avait rien à attendre d'autre de la part de l'organisateur. Le piège était minime, seul comptait le résultat cette fois. Une bien piètre mission qui n'avait fait qu'embêter Konfety, bien plus que de la mettre en danger. Une fois le pot vide, les deux filles encore présentes purent respirer, et sortir de la cuisine.

Une fois Konfety sortie de la cuisine, et Sue à ses talons, la porte se referma doucement derrière elles. Sans cliquetis. Et un long silence bien inhabituel envahit l'hôtel. Si elles avaient remarqué ? Peut-être l'une moins rapidement que l'autre. Mais le cadavre de Luis ne paraissait plus sur le plancher. Les flaques de sang qu'il avait crées avaient été comme nettoyée. Le corps inerte d'Elise s'était évaporé, et enfin, la personne de Chris avait également disparu. Comme volatilisés, il ne restait plus rien de leur passage. En échange de quoi, un mot avait été déposé au milieu d'une des tables, toujours de cette même évidence qui voulait se mettre en avant, sous-entendant qu'il fallait prendre et lire. Un petit papier plié en quatre, et posé en équilibre sur ses faux pieds.

Une bougie au milieu de chaque table éclairait la pièce, et le lustre dégageait une lumière tamisée, de sorte que la pièce avait maintenant un air un peu plus sympathique, presque réconfortant. L'allure d'un salon familiale, comme ces lueurs que l'on voit souvent les moments de Noël par delà les fenêtres, où tout semble briller de simplicité et de joie.

Il ne se passa rien de plus dans la cuisine qu'une Konfety dévorant un pot de beurre. Sue restait à l'affût, scrutant chaque coin de la pièce au cas où quelque chose aurait surgi mais il n'y avait rien, si ce n'est des meubles et le pot qui s'écrasa vite par terre. Le regard de Sue dériva instantanément sur l'objet et son canon se pointa vers la table, là où se tenait Konfety. Le frisson qui lui courrait dans le dos la fit grogner légèrement. Cette gamine était vraiment folle. Folle ou stupide. Ou les deux à la fois même pour faire soudainement du bruit avec la tension qui régnait dans l'air.

Le lieutenant lui décocha un regard de désapprobation quand elle passa à côté d'elle pour quitter la cuisine. Puis, elle voulut se retourner pour attraper la poignée de la porte et la refermer. Elle se trouva bête quand son pied buta contre la porte déjà fermée, la faisant sursauter et reculer de quelques pas.

-Bordel de ...

La peur passée, les insultes restèrent coincées dans le fond de sa gorge. Le lieutenant passa une main sur son visage : elle était épuisée. Ne parvenant pas à se détendre, elle sentait la fatigue grimper dans son dos comme un serpent.

Elle abandonna la porte alors et voulut regagner sa place à côté de son frère, croiser son regard et lui sourire pour le rassurer mais elle ne le trouva pas à sa place. Où était-il ? Elle le chercha du regard dans la pièce, et l'inquiétude grimpa d'un cran quand elle ne vit que Konfety. Peut-être s'était-il caché sous une table en bon poltron qu'il était... Non, il n'y serait pas. Elle le savait mais elle se pencha tout de même pour vérifier. La panique la transperça.

-Où est mon frère ?

Sa voix tremblait. De peur. De colère. De tout.
Elle allait hurler, défoncer la porte et tordre le cou de Nevroze. Et puis elle retrouverait Scott, même s'il fallait mettre la ville à feu et à sang, elle retrouverait son petit frère. Et mieux valait qu'il soit en vie, sain et sauf.

Alors que la gâchette de son arme la démangeait sévèrement, elle remarqua finalement le changement d'ambiance de la pièce et le bout de papier qui les attendait sur la table. Peut-être qu'il y aurait des explications. Peut-être même un jeu horrible pour retrouver son frère. Sue se précipita littéralement sur la table, agrippa le papier te le déplia pour le lire.

Il ne se passa rien d'autre. Ni monstre, ni fantaisie pour venir les troubler, du début de cette mission jusqu'à la prochaine, écrite sur un minuscule papier plié en quatre, dont Sue prit possession, encore une fois, sans attendre que quelqu'un d'autre ne se manifeste. Le papier contenait peu de mots.



Ce à quoi, Sue put rajouter un autre papier caché dans le premier, et plié de la même façon.



Il dut se passer quelques secondes avant que la porte d'entrée ne se déverrouille, et que la porte ne coulisse dans un grincement, laissant le froid extérieur rentrer doucement dans la pièce et faire vaciller une à une les flammes des bougies disposées sur les tables, tandis que les légères lueurs des lampadaires éclairaient le coin de la rue, et enfin, le lointain.

De nouveau un papier et la peur viscérale d'avoir perdu son frère dans la bataille; Le message que lut Sue après l'avoir presque déchiré en le dépliant tant elle était furieuse lui parut bien fade par rapport à la menace de la disparition de Scott. Sortir et tuer un monstre. C'était bien gentil mais fallit-il encore le trouver le monstre.

Un chien lui irait très bien, ils étaient facile à tuer quand ils étaient seuls. Pour le reste, la jeune femme ne savait ni comment s'y prendre, ni si elle souhaitait vraiment exécuter froidement une bestiole et traîner son cadavre jusqu'à l'intérieur. C'était dégoûtant et cruel, car tant qu'elle n'était pas attaquée, Sue n'avait jamais eu l'idée saugrenue de se mettre à chasser les créatures peuplant les rues. Trop dangereux, trop inhumain aussi. Peut-être était-ce du à sa formation ou à son métier, mais ses armes servaient davantage à la rassurer et à dissuader les autres humains de s'en prendre à elle qu'à ôter véritablement la vie.

Quelques instants filèrent où l'agent resta figée dans une sorte de flottement indéfini. Konfety aurait pu lui parler à ce moment là que sa voix ne l'aurait pas atteinte. Mais à la troisième lecture du petit bout de papier, le lieutenant s'attarda sur le temps imparti. Trente minutes. C'était court pour ce qu'elle devait faire.

Froissant le message et le fourrant dans sa poche, la jeune femme vérifia son pistolet et récupéra son sac à dos où l'attendait sagement son deuxième chargeur et sa dague de Sagigor qu'elle fixa à sa hanche. Puis le cliquetis de la porte retentit, comme si quelqu'un s'était caché derrière pour attendre qu'elle soit prête au départ. Sue grogna en fusillant du regard le panneau de bois.

Saloperie.

Et puis il faisait froid dehors et puis il faisait noir aussi. Il fallait y aller malgré tout, et sans un regard en arrière pour Konfety ou pour qui que ce fut d'autre, la jeune femme s'engouffra dans les ténèbres, sans trop savoir où aller, ni quoi chercher. Marcher à pas feutré semblait être devenue une seconde nature, tout autant que garder les sens en éveil et la sécurité de son arme retirée. Bien, maintenant qu'elle était dehors, le couvre-feu passé, seule parmi mille dangers, où devait-elle aller pour trouver une créature qu'elle serait en mesure de tuer et de traîner à travers les rues ?

Cela ne faisait que quelques minutes qu'elle était sorti et voilà déjà qu'il lui sembla entendre un bruit. Alors elle se retourna, chercha d'où cela pouvait provenir, partager entre l'envie d'avoir halluciné et son obligation de dénicher un monstre pour le tuer. Peut-être aurait-elle mieux fait de tirer une balle dans le crâne de Konfety. Ca serait passé pour un monstre non ? Cette pensée lui tira un rictus.

Cela venait du puit. Et cela faisait un bruit étrange, comme des lèvres pompant un liquide avec difficulté. Un vampire ? L'idée traversa sérieusement l'esprit de l'agent, rapidement suivi de la réflexion suivante : un vampire est trop beau et trop doux pour Phantasmagoria. La chose qui se tenait là, quelque part dans l'obscurité ne pouvait ni être beau, ni fascinant. Il produisait un tel bruit répugnant que son apparence ne pouvait aller que de pair. Avant de voir la silhouette, Sue s'imagina une forme humanoïde, vaguement ressemblante à la femme du Sanaorium, dégoulinant d'eau putride, crachant un miasme noir prêt à l'étouffer dans sa gadoue fantomatique.

Et son imagination était bien en dessous de l'horreur qui se présenta à ses yeux, qu'elle distinguait à peine à la lumière lointaine du bar. Elle devinait ses contours plus qu'elle ne les voyait, grand et uniforme, comme un amas de peau posé sur un mannequin. Il lui fallut quelques instants pour comprendre que le noir terrible qui émanait du centre de la silhouette n'était rien d'autre qu'un grand vide, une cavité ouverte sur des choses vaguement luisantes, des organes probablement. Et le tout était pestilentiel. C'était la première fois que Sue tombait sur une telle chose et cette rencontre la conforta dans l'idée de ne pas sortir la nuit, quelle qu'en soit la raison.

Mais la créature s'arrêta et bougea ses bras vers son centre. Il n'était plus temps de laisser la peur la tétaniser. Il fallait bouger avant de subir un premier assaut qui pourrait très bien être le dernier. Et fuir n'était pas non plus au programme... Comment venir au bout d'une chose dont on ignore tout ? Quelque chose allait probablement sortir de son abdomen. La première chose à faire était d'éviter cela. La jeune femme recula rapidement, se rapprochant de quelques pas de la lumière. Rien d'assez signifiant pour être notable si ce n'est que cela mettait une plus grande distance entre elle et le monstre, ainsi que lui donner le temps de saisir ses armes et pointer le canon vers les mains de la bête. Elle tira, une fois, dans la première main en espérant que cela stoppe le mouvement de la bête. Et si cela fonctionnait, une deuxième suivrait la première, se nichant dans la seconde main.

Ses deux mains se placèrent au bord du creux de son ventre, s'accrochant aux bordures craquelées de peau morte en forme de dents, mais avant qu'il ne puisse se passer quoi que ce soit, une balle se logea dans sa main. Un roque sortit... de la cavité qui lui servait de bouche, de nez et de gosier, et un autre roque sortit lorsqu'une autre balle se logea dans son autre main. Lâchant les pans de son ventre, il recula d'un pas. Puis d'un autre. Sa nuque se tordit sur la droite, et bifurqua sur la gauche. Un nouveau râle s'extirpa de son corps et sans attendre plus longtemps, il fit face à Sue. Sans trop savoir pourquoi, on put deviner que tout se chamboula à l'intérieur de son corps. Comme un torrent organique bouillonnant au fin fond de son être qu'il expulsa d'une seule flexion du ventre droit vers sa cible.

Un jet gluant s'écrasa droit sur la vitre à quelques centimètres du visage de Sue. Un "pshiiit" s'éleva de la substance au contact de la vitre, des bulles s'en échappèrent, et le liquide se mit à fondre vers le sol, rongeant sur son sillage tout ce qu'il toucha. Lorsqu'il tomba sur le sol, le crépitement s'éleva à nouveau, comme de l'eau tombant sur une plaque chaude.

Le torrent organique s'intensifia, et son ventre se gonfla une nouvelle fois, expulsant un nouveau projectile dans la direction de Sue.

Un nouveau papier, que Sue prit cette fois avant même que Konfety ne puisse rappeler sa présence et son droit de le lire en première. La tête qu'elle tira quand elle tira le deuxième papier (Konfety déduit par logique que le premier annonçait la validation de son défis, d'une part parce qu'elle n'était pas morte, et de deux parce qu'un deuxième papier avait suivit) annonça la couleur à Konfety. Cette fois, le défis ne la concernait absolument pas, et s'adressait directement à la flic. Konfety resta calmement dans son coin, attendant que Sue lâche le voile masquant la vérité inscrite sur le papier, mais au lieu de lui donner, elle le fourra en boule dans sa poche. Konfety fronça les sourcils. A quoi pensait-elle en cachant ainsi une information crucial sur ce jeu ?

Sans lui dire le moindre mot, Sue ouvrit la porte dont le loquet avait été récemment levé, et sortit dehors. Un instant,Konfety resta dans son coin, de multiples questions en suspens dans son esprit. Mais celle qui la taraudait le plus, c'était de savoir ce qui avait bien pu être écrit sur ce papier. Quel défis avait été lancé à Sue ? Le jeu avait-il été stoppé ? Elle n'avait aucune réponse, aussi se décida-t-elle à suivre Sue, et s'approcha elle aussi de la porte qu'elle ouvrit. Elle fut surprise de découvrir Sue juste devant, son arme à la main, et les coups de feu qu'elle lâcha la fit s'interroger. C'est ainsi qu'elle aperçu le monstre qui beuglait à quelques mètres de là, et le cracha qu'il lui lança "au visage", la ratant de loin, fumer sur la vitre et tomber comme de l'acide.
Konfety s'émerveilla. Elle n'avait encore jamais vu ce genre de monstre, et celui-ci semblait bien plus résistant que les autres. Elle se demanda un instant si sa machette aurait le même effet que sur les petits enfants qui se promenaient du côté de l'école. Mais si elle approchait maintenant, elle risquait fortement de se prendre un goulot d'acide dans la figure, et perdre son visage n'était pas dans son intention. Alors, elle resta tranquillement debout devant la porte et observa.

De l'acide. L'agent bondit immédiatement dans la direction opposée du premier crachat, brandissant toujours con arme vers la bête au corps fendu de tout son long. Une sueur froide remonta incidieusement dans son dos, de la même manière qu'une certaine araignée s'était déjà glissée sur son épaule l'année passée. La nuit ambiance n'était pas sans rappeler les catacombes où seule sa torche lui avait été d'un partiel secours. Cette fois-ci et face à ce monstre-ci, la lumière ne venait d'aucune lampe torche mais du bâtiment à la vitre fondant dans un bruit de cachet effervescent.

Comment venir à bout de cette créature jetant de l'acide, constitué d'acide ? Les balles ne semblaient pas le gêner, le trancher n'aurait sans doute pas beaucoup plus d'effet, à condition qu'elle puisse déjà l'atteindre sans se mettre à fondre. Malheureusement, le monstre n'allait pas la laisser réfléchir très longtemps. Déjà un deuxième jet fusait, obligeant Sue à bondir de nouveau sur le côté et presque s'éclater l'épaule contre la façade du bar.

Konfety était juste devant elle. Le lieutenant n'avait pas remarqué son arrivée jusque là et fut horrifiée de la voir ici.

-Ne reste pas là, idiote, c'est dangereux ! lui beugla-t-elle en désignant le cracheur d'acide de son canon.

Il était déjà assez stressant d'être nez à nez avec une horreur telle que le cracheur, mais il fallait que mademoiselle Konfety en rajoute une couche en s'exposant en toute quiétude. C'était vraiment trop demandé que de rester tranquillement à l'abri ? A vrai dire, Sue avait pensé qu'une fois dehors, la porte se serait verrouillée aussitôt derrière elle, pour l'empêcher d'avoir de l'aide ou de fuir son défi. Stupide gamine, il fallait la faire dégager !

- Rends-toi plutôt utile et va voir si tu ne peux pas récupérer une bouteille d'alcool, ou n'importe quoi qui flambe bien, tu veux.

Quelque chose qui explose aurait été mieux. Une grenade, idéale. De quoi faire exploser le truc qui se tenait en face d'elle en tout cas. En ramener un morceau suffirait bien à valider son défi... Si seulement elle était à l'épicerie et pouvait réitérer son bricolage de pyromane avec une bombe en spray... Pas de bol, elle ne se trimbalait pas avec du déodorant sur elle. Seulement ses armes et sa trousse de secours. Peut-être qu'il y avait un petit spray de désinfectant dedans...

Tout en gardant un oeil sur le monstre pour esquiver ses jets d'acide, Sue passa son sac à dos devant elle et fouilla à l'intérieur pour y dégoter sa trousse de soin, l'ouvrir et chercher à l'intérieur le spray de désinfectant ou de n'importe quoi d'autre d'ailleurs. Elle avait bien demandé à Konfety d'aller le chercher une bouteille mais elle doutait fortement de la coopération de l'infernale alors elle espérait avoir sur elle tout le nécessaire à faire partir en morceau la bestiole.

Un rictus tordit le visage sombre de Konfety. Elle savait bien qu'en restant à l'extérieur elle courait un danger. C'était bien pour ça qu'elle était sortit, parce qu'elle se doutait de ce qu'il se passait. Les monstres extérieurs devaient savoir que l'endroit n'était d'habitude pas habité, et qu'une lumière à travers les vitres signifiaient qu'il y avait quelqu'un, il était donc logique qu'ils se soient rapprochés. La manière dont Sue l'avait renvoyée à ses affaires ne lui plut guère, et plutôt que d'écouter le conseil de la flic qui se trouvait bien sotte devant un pareil phénomène, elle passa sa main gauche sur son coude droit, et se recula un peu plus dans l'ombre des murs pour que le monstre ne s'intéresse pas à elle.

La Maryia du No Man's Land renchérit en lui insufflant l'ordre d'aller lui chercher quelque chose d'utile. Konfety leva le sourcil droit. Bien entendu, elle pensait bien que la sordide Maryia était sérieuse, autrement elle n'aurait pas pris la peine d'ouvrir la bouche, mais pensait-elle sérieusement que Konfety allait trouver quoi que ce soit dans ce bordel répondant au nom d'hôtellerie et servant à coucher les gens sans lendemain ? Elle aurait pu pouffer, si ça avait été dans ses habitudes, mais ça ne l'était pas. A la place elle se contenta de garder un air calme et désintéressé, et prononça d'une voix lente.

" Le papier... dans ta poche. Je te prie. "
Peut-être qu'une fois qu'elle aura lu ce qu'il contenait pensera-t-elle à aider la flic à se débarrasser du cracheur d'acide, mais avant ça il était hors de question qu'elle bouge le moindre petit doigt.

Konfety refusait de disparaître de sa vue. Sa seule véritable réaction fut de se cacher dans l'ombre des murs, mais elle ne rentra pas dans la salle éclairée pour aller chercher ce qu'elle avait demandé, ni même se mettre à l'abris. Cette fille était impossible. Tout ce qu'elle avait vécu ne lui avait-il pas suffi ? Combien de fois encore faudrait-il que le lieutenant lui sauve la mise ?

" Le papier... dans ta poche. Je te prie. "
-Quoi ?

Une grimace excédée remplaça un court instant la tension sur le visage sévère de la policière. Elle n'avait aucun papier dans sa poche et quand bien même, Konfety ne voyait-elle pas que ce n'était pas vraiment le moment de réclamer du papier ?
Une main dans son sac à chercher de quoi bricoler une bombe miniature, l'autre verrouillée sur son arme, Sue retint l'envie d'aller attraper la teigne pour la jeter droit sur le cracheur d'acide. Une envie de meurtre qui comme toutes les autres ne franchirait pas l'état de pensée exutoire.

Tâchant de calmer ses nerfs en pelote au vu de la situation presque surréaliste, la jeune femme finit par comprendre de quel bout de papier parlait Konfety. Le message. La Belyî avait-elle peur d'être roulée ? Idée stupide compte tenu du comportement qu'avait adopté Sue jusque là.

-Je dois ramener le cadavre d'un monstre à l'intérieur en moins d'une demie heure. Si tu veux les détails, je t'en prie, tu peux venir chercher ton papier, j'ai les mains légèrement occupées...

Elle le vit arriver du coin de l'oeil. Et elle sentait qu'elle avait réagir trop tard pour l'esquiver. Il y eu un instant de flottement où la matière froide éclaboussa sa joue et tomba mollement sur sa veste. Un instant où elle ne sentit rien d'autre que son coeur qui loupait un battement. La suite fut moins heureuse, l'acide attaquait sa joue, aussi saisit-elle la première chose que sa main agrippa dans son sac pour s'essuyer, retirer le maximum d'acide de sa peau. La douleur ne lui permettait pas de savoir si elle était en train de se racler la joue ou de la frôler.

Mais elle vit sa main trembler, autant de douleur que de peur. Dans la panique, elle laissa tomber son sac et recula pour se mettre hors de portée tout en bataillant avec sa veste pour la retirer et la jeter le plus loin possible, essuyant alors à nouveau sa peau meurtrie, sans oser regarder l'état de son corps. Outre la brûlure incrustée sur elle qui lui donnait envie de s'arracher le côté, sa première pensée fut de se demander : est-ce que ça guérira ? Futile idée et pourtant c'était peut-être ce qui l'inquiétait le plus.

L'envie de se plier aux règles du jeu l'avait complètement quitté et cette fois si Konfety décidait de l'ouvrir, elle avait de grande chance de se prendre une balle sans autre sommation. Sue regretta d'être sortie de chez elle ce soir et d'avoir été trop aimable avec la Belyi, parce que maintenant c'était son visage à elle qui était rongé.

Que faire maintenant ?
Tuer ce monstre, certainement. Mais les balles ne servaient à rien. Que lui restait-il alors ? Sa matraque et un poignard. Pas de quoi aller bien loin. Le décapiter peut-être ? Ou lui enfoncer le bâton dans le bec pour l'empêcher de cracher à nouveau et lui défoncer le crâne ? Elle ne savait même pas si cela suffirait quand bien même elle y parviendrait avec un bras presque hors d'usage et une douleur qui lui hurlait de se carapater à l'hôpital au lieu de rester là.

Elle n'avait pas beaucoup d'options pourtant. Attrapant sa dague, Sue esquissa quelques pas, pour vérifier qu'elle en était encore capable. Bon. Elle devait être en mesure de courir. La douleur l'empêchant de réfléchir davantage, elle se mit effectivement à courir, aussi vite qu'elle le pouvait pour contourner le cracheur. L'idée était de lui planter sa dague dans la nuque et de le fendre autant que possible avec sa lame de Sagigor. Elle pariait sur l'absence d'orifice et la lenteur de la créature, puisque de toute façon, elle ne pouvait pas rester là à le regarder la dissoudre peu à peu.

Konfety savait bien que ce n'était pas le moment, mais elle savait également que ce n'était pas son problème. En réalité, elle voyait les choses assez simplement. Cette fois, la flic avait décidé de faire bande à part en partant avec le papier sans la tenir informée, alors qu'elles étaient toutes deux participantes, elle avait donc signé dès qu'elle avait franchi la porte un arrêté de paix. Elle jouerait donc à partir de là en solo. C'est pourquoi elle n'aida pas la flic lorsque le monstre crasseux lui cracha dessus. C'est pourquoi elle se cacha dans l'ombre et les observa sans broncher, c'est pourquoi lorsque la flic lui demanda son aide, Konfety ne prit pas la peine de répondre, et resta adossée contre le mur, les bras croisés et le regard posé sur eux deux. Il n'y avait rien à faire d'autre qu'attendre, et puis qu'espérait-elle trouver dans une simple petite auberge ? Il n'y avait rien dans la cuisine, pas plus que dans la pièce principale, parce que tout avait été fait dans le but qu'elles ne puissent rien trouver qui puisse les aider. Bouger aurait été inutile, et elle aurait tôt fait de s'en rendre compte.

C'est pourquoi quand la flic se prit une giclée purulente dans la figure, Konfety ne broncha pas non plus, c'est à peine si elle recula d'instinct, s'attendant à ce que le monstre ne tourne son dévolu sur elle maintenant que l'ennemi était écarté, mais la flic était tenace et reprit du poil de la bête assez rapidement pour que Konfety ne se sente pas en danger.
Aussi ne pensa-t-elle qu'à sa propre personne et ne ferait qu'y penser quoi qu'il se passe, car elle s'en était rendu compte lorsqu'elle avait vu le monstre : depuis le début, ce jeu n'était qu'une mise à mort destinée à tous les tuer, comme c'était le cas tous les jours aussi loin qu'elle s'en souvienne.
C'était donc elle, contre tous les autres. C'était donc elle, et uniquement cela. Et rien ne pourrait la faire changer d'avis.

Sa dague chatouilla à peine la créature qui lui envoya son poing dans la figure. La douleur sembla bien légère face au feu qui rongeait déjà la joue de l'agent, pourtant la force mise dans le coup la fit chanceler et reculer de quelques pas incertains. Sonnée mais certaine que le moindre instant d'inaction lui coûterait un nouveau jet d'acide, Sue se força au mouvement. Ses pieds s'emmêlaient presque alors qu'elle allait s'écraser l'épaule contre un mur pour mieux l'éloigner d'une pression du bras.

Si elle n'avait pas assisté à toute la scène, Konfety aurait pu croire à une forte ivresse de la part du lieutenant. D'ailleurs que faisait-elle celle-là ? On ne l'avait plus entendu depuis que le premier jet avait fait mouche. Ce n'était pas plus mal car la gâchette la démangeait un peu plus à chaque coup qu'elle recevait et à chaque crachat qu'elle esquivait.

Quand elle eut retrouvé ses esprits, Sue remarqua d'une part que son arcade saignait, fendue sous l'impact de la lourde main du monstre et d'autre part que l'acide perlait sur sa dague. La peau avait donc bien été percée, mais trop peu pour venir à bout de la bête. Il aurait fallu une arme plus puissante ou plus de force pour lui infliger des dégâts conséquents. Les chances de venir à bout du cracheur diminuait cruellement.
Mais il était lent et elle pouvait encore lui tourner autour sans se prendre de crachat si elle faisait attention. Son point faible se trouvait peut-être ailleurs que sur la nuque. Respirant fort comme si l'air frais dans ses poumons pouvaient diminuer sa souffrance, Sue revint à la charge de la bête, armée cette fois de sa matraque qui faute de la protéger des crachats pourrait au moins lui permettre de parer les coups de griffes.

Zigzaguant et tournant autant que possible autour de la bête, la jeune femme s'en rapprocha avec la ferme intention de le renverser. Frappant les jambes sur le côté de toutes ses forces sans s'attarder à portée de tir de la créature, elle espérait au moins qu'il fut incapable de se relever pour lui laisser un peu de répit.

Rien ne fonctionnait. A croire que ce monstre était increvable. Et à force de tourner et de courir dans tous les sens, l'agent commençait à se fatiguer. La douleur sur son côté l'avait empêché jusque là de s'en rendre compte mais après avoir évité un énième crachat, elle ne put que remarquer son souffle court et la pulsation rapide de son sang dans ses veines. Combien de temps lui restait-il pour venir à bout de cette bête ? Et que se passerait-il si elle échouait ? Pourrait-elle prétendre à une réduction de peine en arguant que la Belyi avait contrarié les règles du défi en l'accompagnant ? Elle ne voulait pas mourir ici, pas à cause d'un jeu stupide, pas à cause de cette ville.

N'y avait-il aucun moyen de contourner le problème ? Ils avaient tous disparus, un à un. Le jeu allait dans ce sens. Chaque échec éliminait un joueur, au sens propre du terme. Le jeu s'arrêterait-il quand il ne resterait plus qu'un joueur ? Ne pouvait-il y avoir qu'un survivant ?

Les méninges du lieutenant risquaient la surchauffe à tourner de la sorte pendant qu'elle continuait à esquiver les jets d'acide. Sa dague ne lui servait plus à rien, aussi la rangea-t-elle après l'avoir débarrassé des gouttes d'acide sur la lame. Sa matraque ne lui serait pas beaucoup plus utile. ne lui restait plus que son pistolet dont le chargeur ne contenait plus qu'une balle. Bordel, elle n'aurait pas du abandonner son sac par terre, son deuxième chargeur était dedans. Merde, merde, merde.

Viser la tête ne servait à rien. Viser les mains ne servait à rien. D'après le fonctionnement du monstre, il avait besoin de gonfler ses poumons d'air pour cracher. Est-ce que les perforer le tuerait ? Est-ce qu'une balle suffirait à faire ça ?

Tant d'incertitudes qui conduisirent Sue à se mettre temporairement assez loin du monstre pour l'obliger à se rapprocher pour la toucher. Du coin de l'oeil, elle reconnut la silhouette de Konfety qui n'avait visiblement pas bougé de sa cachette contre le mur et offrait un angle de tir parfait au lieutenant. Sans crier gare et contre toute attente, le lieutenant braqua son pistolet droit sur la Belyi et lui tira sa dernière balle en pleine poitrine.

La panique peut-être. Ou le fol espoir que le jeu cesserait dès qu'il ne resterait plus qu'une d'entre elles. Et avec de la chance, cette fois Konfety ne se relèverait plus jamais.

Le coup parti, Sue n'attendit pas pour recommencer à bouger, car il y avait toujours un cracheur face à elle. Si elle avait loupé son tir, la Belyi chercherait par ailleurs sûrement à se venger, mieux valait ne pas rester à portée d'un quelconque lancer d'arme.

Konfety se délectait de voir le lieutenant tourner autours du monstre sans trouver quelconque parade pour achever le monstre, et il est vrai qu'elle n'avait pas beaucoup de temps pour terminer sa mission. Je dois ramener le cadavre d'un monstre à l'intérieur en moins d'une demie heure. Si tu veux les détails, je t'en prie, tu peux venir chercher ton papier, j'ai les mains légèrement occupées... C'est ce qu'elle avait dit. Konfety n'avait pas eu connaissance directement du message envoyé par la Perfide, mais Sue avait-elle réellement, dans la situation actuelle, avantage à lui mentir ? Konfety partit donc du principe que c'était vrai, et si elle en jugeait par sa notion du temps il ne lui restait pas beaucoup de temps, alors qu'arriverait-il si par malheur la flic ne réussissait pas sa mission ? Qu'arriverait-il si par bonheur ce monstre restait en vie assez longtemps pour que la Maryia manque à sa mission ? Allait-elle crever comme les autres ? Dans l'ombre, Konfety souriait, d'un sourire narquois. Il y avait très peu de chance pour qu'elle s'en sorte, à moins qu'elle ne trouve subitement le moyen de tuer cette créature, et Konfety souriait d'avance de ce que l'avenir allait leur réserver.
La Maryia s’essoufflait, pour sûr, elle courrait moins vite, et lorsqu'elle brandit son arme, et le braqua... sur elle, Konfety ouvrit grand les yeux. De stupeur ? Non, de stupéfaction. Qu'est-ce qui lui prenait ? Elle n'eut pas le temps de trouver la réponse, la balle l'atteignit en pleine poitrine. Ce fut comme une intense brûlure, au milieu de sa poitrine, qui l'empêcha subitement de respirer. Ça faisait mal ? Oui. Mais Konfety, toute jeune et peut-être bien trop bornée, se forçait encore à comprendre ce qu'il se passait dans la tête de la flic, car elle l'avait dit elle-même : sa mission était de ramener le cadavre d'un monstre, pas le sien. Du sang exhuma de sa bouche. Elle s’étouffa avec, sans s'en rendre compte, mettant le genoux à terre.
C'était là ce qu'elle voulait, et bien, elle allait devoir supporter le regard froid et dur de Konfety jusqu'à ce qu'il s'éteigne. Dieu qu'elle regrettait de ne pas avoir encore tout compris.

La lumière provenant du ventre du cracheur paralysa un instant l'agent qui ne put qu'observer le phénomène. Le ventre gonflait et bientôt un nouveau crachat allait suivre, mais différent, assurément différent. Pourrait-elle seulement l'éviter ? Quand la bête amorça son crachat, le lieutenant oublia toutes les questions qu'elle pouvait se poser et plongea au sol, se laissant rouler à quelques pas de la porte du bar, de là où tout avait commencé.

Elle ne comprit pas ce qui avait changé dans le crachat du monstre mais sentit une vague de chaleur passer au-dessus de son visage et de toute son corps. Elle avait eu chaud, dans tous les sens du terme. Il fallait qu'elle rentre dans la pièce maintenant, pour attendre le petit mot qui lui annoncerait que tout était fini et qu'elle pouvait aller soigner ses blessures. En passant devant Konfety qui lui barrait à moitié le passage, elle aperçut sa poitrine se soulever encore. Elle n'était pas morte et c'était peut-être pour cela que rien n'avait cessé.

Convaincue désormais que la mort de Konfety sauverait la sienne, Sue l'assomma d'un rapide et nerveux coup de talon dans le visage et l'acheva presque dans le même élan, d'une caresse de sa dague contre la gorge. L'horreur de ses propres gestes ne l'atteignait pas. C'était comme tuer un monstre pour sauver sa peau. Il n'y avait pas à s'émouvoir, il fallait le faire et c'était tout. C'était comme tuer un monstre, ou bien était-ce cela. Konfety n'était-elle pas aussi monstrueuse que les créatures qui arpentaient les rues ? Le papier disait de ramener "n'importe quel monstre de son choix", et bien voilà, le choix était fait. Puisque Konfety avait fait le choix de la regarder mourir, sans doute un sourire satisfait sur le visage, au lieu de l'aider à en finir avec la bête, elle faisait office de monstre parfait. Après tout, ce devait être pour cela qu'elle avait pu sortir alors que le papier disait que Sue devait être seule dehors et choisir son monstre.

Sue rentra sans plus attendre dans l'hôtellerie, tenant le cadavre de Konfety par le bras pour le tirer puis le hisser sur la table.

Quand le cracheur s'arrêta sur le pas de la porte et rebroussa chemin, Sue comprit que tout était fini. Avant même de sentir le bout de papier frotter contre ses doigts maculés de sang et de poussière, avant même de réaliser que la lumière baignait la pièce où son souffle était le dernier signe de vie. Avant tout cela, il y eut le demi-tour du cracheur et après, après il y eut la douleur. Après la peur de mourir ne restait que la peur d'être à jamais défigurée, de porter sur son visage les traces de son crime. Elle avait tué Konfety, un bout de sa mâchoire et de son épaule étaient partis avec. Et ça faisait mal. Bien plus mal qu'un quelconque sentiment de culpabilité.

Sue se releva pour se traîner jusqu'à la cuisine. Elle ouvrit le robinet d'eau froide et orienta le jet sur le haut de son visage, laissa couler l'eau de sa tempe jusqu'à son cou jusqu'à ce que sa joue soit complètement anesthésiée par le froid. Elle répéta la même chose sur son épaule, sans se soucier de détremper ses vêtements et les tâcher de sang. Quand la douleur finit par lui laisser un peu de répit, la meurtrière se lava les mains mollement pour se défaire du sang de sa victime pour laquelle elle n'eut pas un regard en quittant le bar.

Machinalement, elle récupéra ce qui pouvait l'être de son sac à dos et de sa veste bousillée puis rentra chez elle. Ses pas étaient rapides, elle courrait presque, mais il sembla ne jamais avoir été aussi lente de sa vie. Les rues ne défilaient pas devant ses yeux. Tout semblait mort, ou bien était-ce elle qui mourait un peu plus à chaque pas. L'adrénaline avait cessé depuis longtemps de brouiller son esprit. Sue prenait conscience de son geste et de l'ironie de la situation. La seule flic de la ville qui commettait un meurtre. Vaste plaisanterie. Devrait-elle se mettre les menottes aux poignets et se lire ses droits ? A quoi bon, il n'y avait aucun juge pour la mettre sous les verrous.

Il ne lui restait que ses yeux pour pleurer. Personne pour la punir et peut-être même personne pour savoir ce qui s'était passé en vérité. Encore une fois, elle se retrouvait seule à devoir se débattre avec ses propres démons. Une fois enfermée chez elle, la jeune femme se concentra sur les soins à accorder à ses blessures pour ne pas penser qu'en tuant Konfety, elle était tombée dans le piège des Perfide.