Vingt-et-une heure.

Vous participez à un jeu du roi.
Tous ses ordres sont absolus, irréversibles, et doivent être exécutés dans l'heure sous peine d'être lourdement sanctionné. Aucune entorse à cette règle ne sera acceptée. Aucun abandon ne sera toléré.

Ordre n°1 : Luis Gein et Élise Schaeffer doivent se rendre dans l'appartement 707. Comme preuve de leur bonne foi, ils devront ramener de là-bas un bout de tapisserie chacun et le déposer sur le comptoir. Afin de veiller à ce qu'aucun des deux ne triche, Sue Maryia ou Kriss Delorne devra les accompagner afin de veiller à ce qu'ils soient bien entrés.

Je m'étrangle presque, enfin presque ... je m'étrangle mais discrètement. Christ, moi ? Elle se fiche de moi la gamine ? Et pendant qu'elle me fait les présentations de l'assemblée, je ne peux m'empêcher de fixer cette main, bien trop longtemps pour que l'hésitation puisse ressembler à de la simple politesse. Je n'ai qu'une envie c'est de tourner la tête vers la figure réconfortante de la pièce. Bordel Sue pourquoi es-tu revenue dans cette ville ? Ai-je le droit ? Finalement, ma main gauche reste sur la table tandis que la droite, sous la table, tripote le manche du couteau de chasse à sa hanche généreusement offert par sœurette. Ce don avait amené, lui aussi, son lot d'explication, de cours, et de conseils presque dictatoriaux.

- Des réductions ? A ce rythme ils vont finir par nous filer de l'argent pour loger dans ces appartements !

A la réflexion, je ne sais pas exactement qui est ce "ils", ça serait intéressant de mener l'enquête. intéressant mais flippant ... je demanderai à Sue si elle ne veut pas le faire à ma place. Enfin ça m'embêterait qu'il lui arrive quelque chose, mais elle est tellement forte. Bon j'y penserai en tout cas, ce qui est certain c'est que je ne ferai pas l'enquête tout seul. J'adresse un sourire quelque peu nerveux à la jeune fille comme pour lui demander de m'excuser de ne pas serrer cette main nonchalamment tendue. Cette sensation d'impolitesse se trouve grandement minorée à la vue du quatrième larron de la table, je ne l'ai pas vu arriver entièrement fixé que j'étais sur la main d’Élise. On pourrait presque les croire cousins ces deux là, mais l'indolence du garçon frise l'impolitesse. Je l'imagine bien s'empiffrant de galette et parler la bouche pleine. Il m'évite ça cependant, enfin la question n'est pas meilleure. Quoi ? Quoi ? Quoi je suis ? Morveux va !

- Kriss. Et toi, t'es quoi ?

Gloups ... C'pas très malin, mais mon orgueil ne peut s'empêcher de prendre le dessus parfois. J'ai beau n'avoir pas élevé la voix, le ton mielleux n'a pu échapper à l'assemblée. J'aurai presque eu un sentiment de compassion envers Konfety, face à ce péteux tout est bon pour s'en débarrasser. Compassion c'est vite dit quand même, je suis en train de me prendre une soufflante morale par Sue, pas de faiblesse, pas d'attendrissement, pas d'apitoiement, surtout pas envers les fous de cette ville. Je chancelle physiquement sur ma chaise, heureusement que ça passe vite.

A force de parler, le temps passe, pas vraiment vite mais suffisamment quand même pour se retourner vers l'extérieur et s'apercevoir qu'il fait nuit. Ça te fiche les fameuses chocottes tout pareil qu'au cinéma avec un film d'horreur. Ça ne m'était arrivé qu'une fois, raaaa punaise plus jamais ! Bordel ça cogne contre la porte ! Je sursaute. Personne n'entre et c'est plus que flippant. Et en plus l'obscurité gagne du terrain. Ça craint. Je tourne ma chaise vite fait vers Sue et la première chose que je vois c'est son arme ! Elle va me tirer dessus ! Puis je porte mes yeux sur sa figure. Ah non, ouf. Elle n'est pas vraiment sereine mais gère bien mieux la situation que moi. J'enserre ma main sur le manche du couteau et me terre dans ma chaise que j'ai un peu éloignée de la table.

- Ça caille ...

Je suis absent mentalement pendant quelques instants et c'est l'avertissement de mon aînée qui me ramène à la réalité. Je me redresse et me pose contre un mur un peu loin de tout mais en essayant de voir toute la scène de crime. Le retour du soleil de la pièce m'éblouit une petite minute. J'écoute machinalement le message sans en tenir les tenants et aboutissants, j'ai encore l'impression que tant que je ne suis pas loin de Sue, tout ira bi ... QUOI ? Mais on va être séparé ! Là si je pouvais défaillir, je le ferai. Mais je n'en ai pas le loisir. Je me reprends. Ce que je préfère. La mort ici ou là-bas ? En plus je connais l'histoire de cet appartement, c'est le genre de récit qu'on te raconte une fois et qu'on oublie pas. En même temps rester ici ... Pour une fois je cogite très rapidement, pas que ça ne m'arrive pas habituellement, j'ai plutôt les neurones qui se touchent assez vite en général. Mais dans cette ambiance ... réflexion stupide je n'ai jamais été dans cette ambiance auparavant.

- J'y vais ... ouai j'y vais.

Je me demande un instant si Sue a tout lu du message, mais quoi qu'il en soit, elle me transmettra ce que je dois savoir. Tout mais pas rester seul avec la Belyï ... qui sait ce que pourrait être le prochain ordre.

Aux indications de l'armée, la demoiselle dégaina son Ipod, éclairant la table devant elle de l'écran seulement.  Le fond d'écran plutôt sombre rendait la luminosité qui se dégageait de son dispositif encore plus inutile, si bien que, tête anglée, elle ronchonna à mi-voix en commençant à tapoter les paramètres de l'appareil pour se dénicher une couleur blanche et unie.  Le modèle, trop vieux, n'offrait même pas la lampe de poche intégré : pfh !  

Enfin, le temps d'effectuer toutes ces manœuvres, de dénicher tout ce qu'elle souhaitait dénicher dans la petite bulle réconfortante du virtuel, les lumières s'étaient déjà rallumées.  Laissée pantoise face à l'inutilité des précédentes minutes, elle gonfla les joues et rangea le Ipod.  L'ambiance, peu agréable, faisait de la demoiselle un être silencieux et intérieurement à cran.  Ainsi, lorsque Sue se mis à lire le petit papier qu'elle avait trouvée pendant que la demoiselle ne regardait pas, elle se mura d'un silence surpris... et probablement angoissée.

- Luis Gein et Élise Schaeffer doivent se [...]

La main qui serrait celle de son compagnon tortura le garçon encore davantage.  H'ah !  C'est quoi, tout ça ?  Elle dévisagea bêtement Sue un moment, pleine de soupçons sans fondement :  ça sort de sa bouche, c'est de sa faute !  Quelques secondes après, la raison lui revint et elle relâcha ses soupçons enfantins, sans perdre sa crainte.  Élise détourna ses mirettes vers Luis, à qui elle balança de grands yeux incertains.  Elle lui avait raconté, l'histoire : quelle bourde !

Un petit coup de pied balancé dans le vide sous la table.  Un visage aux traits refermés, soucieux. Elle lui avait raconté !  L'histoire, la 707, elle l'avait aidée, et elle lui avait raconté.  H'ah !  Ça lui apprendra !  On ne peut pas aider personne, ici, pourquoi elle s'acharne à le faire, avec lui ?  C'est idiot :  voilà que ça lui retombait sur le nez !  S'il avait pas su, il y aurait été naïvement comme un idiot à sa place, par preux chevalerietude, maintenant, rien était moins sûr...

- J'y vais ... ouai j'y vais, fut ce qui l'extirpa de ses silencieuses et angoissées machinations.

Relâchant son attention du Geins, elle observa Christ un bon moment.  Il va où ?  Il va où, eh ?  Avec eux... ?  Ah si, le mot. Il a le joli rôle, le Christ han !  Tu parles...

Silencieuse durant de longues minutes, coincée sur son siège, blottie de réflexions et de soucis, la jeune demoiselle était bien pâle.  C'est les lèvres pincées, le regard incertain et quelques coups d'oeils à la dérobés à chacun des présents - mais surtout à Luis - qu'elle se redressa de son siège, tremblottante d'un petit quelque chose aux odeurs de peurs.

- ... mon Père mon oncle avait vachement raison.  J'aurais dû faire comme les autres années, et restée à l'Église, des mots soufflés-sifflés du bout des lèvres, alors qu'elle s'approchait pour tâter vaguement l'épaule du Christ. On a pas le choix, h'an?

Si peu prête qu'elle était, elle n'en était pas moins debout, la main toujours jointe à celle de son compagnon.  Le regard, fuyant de soucis, se plaquait à chaque ombre un peu louche de la pièce.  Elle n'était pas sotte, la toute jeune : peu importe qui avait pu avoir glissé ce papier, l'embêter était la pire idée.

Vingt-deux heures.

Pour ne pas avoir exécuté les ordres du roi, Luis Gein est condamné à rester enfermé dans l'appartement 707 jusqu'à ce qu'un autre ordre lui permette de sortir.

Note à béné : Luis Gein ayant été foudroyé avant la fin de son ordre, la dite condamnation sera donc infligée à Élise Schaeffer. Restez attentifs en attendant l'ordre n°2.

Vingt-deux heures dix.

Ordre n°2 : Konfety Belyï doit manger un pot de beurre fondu qui se trouve dans la cuisine. Aucune bouchée ne doit être dénigrée. Tout doit disparaitre. Konfety a quinze minutes pour exécuter cet ordre, sans quoi, elle recevra un gage.

L'ordre commence dès maintenant, et se termine à vingt-deux heures vingt-cinq.