La lune, seule, brillait, les étoiles étant voilées par d'épais nuages ébènes. Le temps semblait s'être dissous. Là où il n'y avait pas une âme qui rôdait, le froid avait déjà mordu. Il se délectait de ce corps squelettique commençant par lui grignoter le bout de ses phalanges déjà bleuies. Elle semblait s'être abandonnée à la mort au cul-de-sac d'une ruelle, pourtant un souffle émanait d'elle. Il était lent. Son organisme ne faisait plus que le stricte minimum pour survivre. Elle s'était montrée inconsciente, se contentant de cette impasse pour se cacher lors de sa consommation. Sa crise de manque avait frappé alors qu'elle était déjà en proie à ses délires psychotiques. Elle n'avait pas eu d'autres solutions. Discorde reprenait lentement conscience, l'esprit apaisé. Ses souvenirs étaient fragmentés, elle peinait à réaliser qu'elle était encore en vie. Après un las soupir, elle reprit sa seringue qui était restée logée dans sa veine. Quelques taches de sang s'étaient écoulées au sol. Leurs trajets s'étaient marqués sur le bras de la jeune psychotique. Les chimères hantant son esprit lui faisaient entendre de sourds grognements. L'odeur du sang séché pouvant la trahir, elle s'empara de la bière qu'elle avait à moitié tuée avant de verser le reste sur son bras. Il lui fallut gratter avant de se débarrasser des fins traits dessinés. Des ombres, semblait s'arracher des Charred Skin' qui s'évaporaient aussitôt. Ils semblaient formés de brumes. La came dans son sang l'empêchait de paniquer, elle savait que ceux-là n'étaient pas dangereux.

Tout était flou. Les ombres aux allures de canidés continuaient leur bal. La brume qui constituant les Charried Skin' fut chassée par une ombre imposante, plus sombre encore. Transperçant la pénombre, il se dressait à présent devant elle. Une fois sa capuche ôtée, il dévoilait d'épaisses cornes reliées à un crâne de bouc. Son cœur loupa un battement lui donnant la sensation d'une brève asphyxie. Discorde peinait à dissocier le réel de l'irréel. Ces deux réalités n'en formait plus qu'une où le temps venait de se rompre. Il n'était plus qu'une notion abstraite, dont le sens lui avait été arraché. L'obscurité émanant de cet être chassait, progressivement, la pénombre ocrée qui berçait la ruelle. Le décor derrière lui s'écoulait tel de la peinture sur une toile. Tout semblait se dissoudre. Était-ce le Malin venu l'emmener ? L'esprit fragmenté de la jeune junkie ne pouvait plus dissocier les effets causées par l'H de sa psychose. Elle venait d'être conquise par la Bête. « Alors ça y est ? C'était le hot shot ? » La dose mortelle. Elle n'espérait pas de réponse, sa question était adressée à elle-même. Elle n'avait même pas conscience d'avoir prononcé ces mots à voix haute. Ce qui s'apparentait au Malin l'invitait à la suivre. Discorde obéit aveuglement. Elle ne sentait plus les battements de son cœur, ses membres étaient lourds et incroyablement légers à la fois. Était-elle même encore en vie ? Peu importait. Elle profitait naïvement de son bien-être actuel tout en chassant les questions de son esprit.

Elle ne savait guère ce qu'il l'attendait, ni même où est-ce qu'il l'emmenait. Au fond, cela n'avait aucune importance car elle savait que bientôt, elle aurait sa réponse ainsi que des explications. Il suffisait d'attendre. Son esprit était brumeux, elle déambulait chancelante. Les ruelles se tordaient sur elle-mêmes. Leurs ricanements arrachèrent un léger sourire à la jeune psychotique. Un sourire doux accompagné de ses yeux vidés de toutes émotions. Elle avait la sensation de tout comprendre et de ne plus rien comprendre à la fois. Un paradoxe parmi tant d'autres auquel son esprit était sans cesse confronté. Le temps s'était figé causant une faille qu'elle aurait bien nommé "éternité". Même si elle pensait que le temps s'était rompu, qu'il n'y avait plus que cette éternité accompagnée de son incompréhension face aux événements, ce n'était qu'une impression. Une impression qui n'était due qu'à toutes les merdes qu'elle ne cessait de s'injecter dans les veines. Discorde était à l'ouest, elle se laissait portée par ses pensées et guidée par la main du Malin. Elle espérait que le silence se rompe afin d'y voir plus clair, savoir où est-ce qu'Il l'emmenait ainsi que le pourquoi. Il était rare qu'on ramasse les toxico's gisant au coin d'une ruelle par simple altruisme. Il devait voir quelque chose de plus profond en la psychotique. Peut-être la souffrance qui émanait de sa déchéance ?

Elle se laissait emmener en ces rues sinueuses qui lui paraissaient désormais étrangères. Elle ne cessait, pourtant, guère d'y errer. Jamais elle n'avait de but, ce n'était qu'une ombre vagabondant dans l'obscurité. Ça lui arrivait de se demander pourquoi est-ce qu'elle continuait de mener cette vie. Probablement pour s'élever en dehors de la réalité avant de chuter et de recommencer inlassablement. Le masque que portait cet être semblant être issu des ténèbres se fondait en sa chair. Discorde se trouvait incapable de distinguer les lanières fixées au crâne squelettique. Tout était brouillé. Tout droit des entrailles de ces obscures ruelles, des grognements retentissaient. Ils se faisaient plus faibles, plus sourds, mais ils ne cessaient pas pour autant. La Bête conduisait Discorde à la Case. Ce couloir étroit qui se terminait par quelques escaliers, elle les reconnaissaient. Elle se mit à monter après que les yeux perçants du Malin se soient logés en ses pupilles un court instant. Il n'en fallait pas plus pour la convaincre.

Le Grand Moloch pénétra en premier dans l'appartement de la jeune toxico'. Il n'était, étonnamment, pas si chaotique que l'on aurait pu le penser. Il était évidemment d'une taille médiocrement petite. Seules 3 pièces le constituaient : la chambre, la cuisine ainsi qu'une salle de bain étroite. L'atmosphère des lieux était tamisée donnant une fausse sensation de chaleur en ces lieux bien mal isolés. Un grand matelas posé au sol faisait office de lit, elle s'y réfugia de suite, assise en tailleur. Ses pupilles toutes dilatées se plongeaient dans celles de la Bête qui lui faisait face. Il était d'autant plus imposant maintenant qu'elle avait prit place sur son matelas. Elle était insouciante de ce qui pouvait lui arriver, elle n'était pas même en état d'éprouver une quelconque crainte. D'ailleurs, elle chassait les questions qui lui venaient en tête. Elles n'avaient pas d'importance. L'idée même du comment est-ce qu'il savait où est-ce qu'elle logeait lui paraissait futile comme question. C'était même celles qui sonnait comme étant la plus niaise, alors elle préférait se taire. Elle était fascinée, comme peut l'être un enfant admirant un ballet de flammes pour la première fois.

La conception du temps était devenue abstraite. Le temps semblait s'être figé lorsque la Bête la domina, dressée devant elle. Cet instant. Il ne s'éternisait pas sans raison. Les secondes qui ralentissaient, la position statiques des deux êtres étaient là pour marquer un événement. C'est lors de cet instant précis que Discorde sut que sa vie allait prendre un tournant différent. Le Malin l'avait enfin enlacée, l'emmenant avec elle. Mêmes les murs de sa maison n'étaient plus qu'étrangers. Des hurlements de douleur résonnait dans l'esprit de Discorde la persuadant ainsi dans son idée d'être au cœur des ténèbres, aux cotés du véritable mal. La bête cornue rompu ce chimérique vacarme par une simple question. « Un démon... » Elle avait répondu d'une faible voix, une voix égarée par les chimères de son esprit. Cependant, il n'y avait nul doute que sa réponse était authentique. Elle pensait sincèrement être en compagnie d'un démon et pas n'importe lequel. « Les créatures du dehors, elles sont l'infime de l'ombre. » Lui était l'Ombre. Celle qui ridiculisait les monstres de Phantasmagoria dû à leur manque de prestance. C'était peut-être son état second qui la rendait si admirative ou peut-être son désordre mental. Dans tout les cas ses réponses en disaient énormément sur sa faiblesse. Elle venait de se dévoiler comme un être manipulable à souhait et ça, les démons savaient s'en apercevoir. Sans le savoir, elle venait de signé un pacte où le peu qui lui restait allait être brisé.