Sept heures quarante six

Madeleine se tient devant les ruines calcinées du bâtiment, les mains dans les poches de son manteau, silhouette solitaire dans le petit matin. Il fait froid, son souffle s’élève en volutes blanches au-dessus d’elle. Ses yeux détaillent les murs noircis de longue date par l’incendie, à moitié recouverts d’une neige si sèche qu’elle ressemble à des cendres.

Après le sanatorium, elle s’est tournée vers l’autre endroit qui lui semblait être public, par l’allure du bâti et notamment le nombre de fenêtres ; une administration, ou une école peut-être ? Il lui semble que c’est là qu’elle trouvera le plus de réponses sur l’histoire de Phantasmagoria. Et puis, quelque chose, dans le souvenir des flammes qui ont dévoré la pierre,le bois, l’a attirée. Un appel, le cri déchirant d’une charpente qui s’effondre, et dans le crépitement ininterrompu, les voix mêlées de ceux que le feu a emportés.

Qui étaient-ils ? Que s’est-il passé ? Quand cela s’est-il passé ?

Des questions, encore des questions. Elle a le pressentiment que ce n’est que le début.

La jeune femme se décide enfin à avancer. Ses bottes dessinent des empreintes sombres dans la neige tandis qu’elle marche vers la porte principale. Elle entre avec précaution, persuadée que l’ossature affaiblie de la bâtisse peut s’effondrer à tout instant, même si elle a conservé sa forme élémentaire. Attentive au moindre craquement suspect, au moindre mouvement, elle observe autour d’elle. Des couloirs… et ce qui semblent être des salles de classe, au vu des vestiges qui les emplissent encore, pêle-mêle. Une école, donc. L’événement ne lui paraît que plus tragique.

Elle cherche des indices, n’importe quoi, des reliques épargnées par l’incendie, le gel et le temps, un plan, des livres, des vêtements… Le mieux serait de trouver le bureau de direction, le moindre document conservé là-bas sera un élément intéressant.

Madeleine prend le temps d’explorer les environs avant de prendre sa décision ; sa précédente visite au Sanatorium lui a prouvé que le danger était partout et elle ne veut pas se laisser surprendre, même si elle sait intuitivement que malgré toutes ses précautions les créatures de Phantasmagoria seront toujours assez sournoises et discrètes pour l’atteindre lorsqu’elle s’y attendra le moins.

Dans les ailes à droite et gauche ne semblent être que des salles de classes, mais l’inscription à moitié effacée non loin attire son attention : c’est exactement ce qu’elle cherchait. Elle commencera par là avant d’essayer de visiter le reste de l’endroit - l’étage paraît le choix le plus hasardeux et le plus dangereux à en juger l’état de délabrement du bâtiment. Pour l’instant, le bureau de direction lui ouvre sa porte.

Elle entre et jette un regard à la ronde, tente de mémoriser tous les détails de la pièce, d’identifier les documents qui ont pu être sauvés des flammes. Elle avance précautionneusement, n’hésite pas à regarder où elle met les pieds pour ne rien abîmer qui puisse lui apporter une quelconque information.

Il paraît évident au premier coup d'œil qu’il ne subsiste autour d’elle pas grand-chose des anciens occupants des lieux. Le feu, puis l’abandon et le temps ont eu raison des documents, des livres et des photographies. Tout le reste s’entremêle, cendre, papier, poussière, bois, débris, restes inhabités d’une époque révolue.

Madeleine pousse les déchets du pied, tourne lentement dans la pièce, soulève un cadre ou deux, manipule des livres avec précaution, pose la main sur les murs comme pour s’imprégner de leurs souvenirs, puis elle sort son dictaphone. Elle l’allume, lance l’enregistrement, le pose sur la table et commence à parler.

« 24 mai, enfin, je crois. J’espère n’avoir pas déjà perdu le compte. 24 mai, donc, je suis dans ce qui semble être le bureau de direction de l’école de la ville. »

Elle ne prononce pas le nom de Phantasmagoria. Quelque chose, dans ces syllabes, pourrait corrompre l’appareil, ou imprimer à sa voix d’autres mots, des mots fantômes. Elle prend cependant garde à laisser des silences dans son propos, des silences qui pourraient donner l’occasion aux esprits du lieu de s’exprimer. En tout cas l’espère-t-elle.

« Le bâtiment a vraisemblablement brûlé il y a longtemps, mais il reste encore de quoi explorer. Pas beaucoup de papiers cela dit. Surtout des ombres. Des impressions. »

Une pause. Elle reprend son souffle en quelques inspirations, les plus silencieuses possibles.

« Je devine quelque chose de tragique, bien sûr. Je ne sais pas encore tout à fait quoi. »

Elle observe le bureau sous toutes ses coutures, cherche une cachette, un tiroir secret, un objet dissimulé sous le plateau. Peut-être le meuble a-t-il été préservé des effets qui ont touché ce qui l’entoure. Si elle n’y trouve rien, elle continuera son exploration du reste du bâtiment.