L'homme avait pris la direction de la place du village, pour s'y poser, relire son message et réfléchir posément à ce qu'il voulait dire. Konfety l'intercepta alors qu'il se trouvait non loin, dans une des nombreuses petites ruelles pavées qui y menaient. Ils purent ainsi entendre des échos de voix proches d'eux, mais nous y reviendrons plus tard.


L'homme avançait d'un pas décidé, regardant devant lui. Il n'y avait aucun doute quant à sa détermination et il n'entendit pas le martèlement des pas de Konfety sur le dallage, si bien qu'elle le rattrapa sans qu'aucun événement ne vienne la perturber, et lui sauta sur le dos sans qu'il ne se doute de rien. Ébranlé, il bascula en avant et n'eut guère le temps de se rattraper avec ses mains. Il se griffa les coudes sur le sol et bascula sur le côté. Une douleur aiguë lui transperça l'avant-bras droit. Dans sa chute, il poussa un cri de surprise, et à la fin, des jurons de colère. Konfety l'attrapa par les cheveux. L'homme gigota sur place, essayant de se soustraire à cette personne qui l'avait sauvagement agressé dans la rue. Konfety put constater que l'homme était mal rasé, mal coiffé, et sentait la transpiration. Malgré tout, sa force était plus importante que celle de Konfety, et il n'eut pas grande peine à faire basculer Konfety sur le côté tandis qu'il tournait sur le côté. Lorsque l'occasion se présenta, il la poussa avec vigueur, et s'échappant de son étreinte, se releva. Il ne prit pas la peine de s'épousseter, mais il regarda la blessure de son coude, transperça Konfety de ses deux yeux noirs et cracha au sol. " Sale petite garce ! " furent les seuls mots qu'il prononça, avant de s'essuyer la bouche d'un revers de bras.
Ils purent tous les deux entendre des aboiements alarmants, à l'endroit même où se rendait l'homme à l'origine.

Dans sa candeur - ou sa bêtise, Konfety n'avait pas imaginé un seul instant que l'homme riposterait. Elle s'était imaginé sauter simplement sur le dos de l'homme, le faire basculer, le terroriser, et lui voler son papier. Elle serait repartie en direction de l'agent, triomphante, et aurait pu montrer fièrement le message dont elles avaient besoin pour compléter la collection. À dire vrai, Konfety s'imaginait que les habitants du village étaient tous des mollassons, des trouillards et des lâches vivant aux crochets d'un ordre ecclésiastique corrompu, et mettaient sans aucune honte tous les habitants dans le même panier. Mais celui-ci la renversa si vite qu'elle se retrouva démunie. Le contact brusque du sol lui fit mal. Elle se releva, l'insulte glissant par-dessus son crâne chevelu. Seulement, elle n'avait pas apporté son arme pour se défendre, et bien que cette fois, la proie était humaine, elle se sentait défavorisée, et même en danger. Elle retira quelques cheveux glissés dans sa bouche et soutint le regard du gredin.
- Vos compagnons sont en train de pleurnicher devant une représentante de l'ordre. Et vous, qu'est-ce que vous avez eu comme message ? Donnez-le-moi !
Elle s'avança vers lui avec contenance et attrapa sa main droite, espérant lui voler son papier. Des aboiements s'élevèrent à quelques mètres d'eux. De sa connaissance du terrain, elle jugea qu'ils provenaient de la place du village. Elle se suspendu son geste et se figea sur place. Ils n'étaient pas loin, mais les avaient-ils entendus ? Leurs aboiements étaient-ils une alarme signalant un danger ? Venaient-ils pour eux, ou avaient-ils croisé la route d'un autre pauvre malheureux, dont le sort était désormais scellé ? Espérant que la réponse ne lui serait pas défavorable, elle attendit, regardant furtivement l'homme dont elle lâcha la main, espérant qu'il comprendrait et ne ferait pas le moindre bruit.

Il prit la poudre d'escampette sans même réfléchir, prenant le risque de dévoiler leur présence et donc de sceller leur destin. Fort heureusement, il n'avait pas crié, et cela apaisa légèrement Konfety. Perdu, mais pas condamné. À ce moment-là, Konfety eut le choix : le poursuivre et tenter de lui voler son message une bonne fois pour toutes, ou bien rester et s'assurer que les chiens ne l'avaient pas détectée et ne l'avaient pas prise en chasse. Deux solutions qui, dans tous les cas, la mettraient sûrement face à une horde de chiens sauvages. Ses mains vides lui rappelèrent bien rapidement que, quoi qu'il ne se passa ensuite, elle serait dans l'incapacité de se défendre et mourrait certainement dévorée. La perspective d'utiliser l'étranger comme bouclier humain - voire comme appât, la traversa, et elle jugea qu'il était pour elle plus sécurisant de se sauver. Ainsi, elle s'élança elle aussi, mais non pas pour fuir, mais à la poursuite de l'homme qui essayait de les semer. Un bref instant, le visage de la belle inconnue qu'elle avait vue sortir de l'église lui apparut, et elle faillit s'arrêter, doutant que c'était peut-être elle la victime des chiens puisqu'elle avait pris le même chemin, mais il n'y avait pas de temps à perdre : elle s'était donné comme mission de récupérer ce message, et elle ne devait pas échouer. Sa réputation était en jeu, après tout.

L'homme courait devant elle comme un lapin prit en chasse par un renard. Konfety savait que dans ces ruelles abandonnées, il ne fallait pas crier au risque d'appâter des monstres oiseaux ou des chiens dégoulinant de bave. Elle entendait l'homme respirer, courant tout droit dans une direction qu'il ne semblait pas avoir encore statuée. Elle observa les alentours, s'arrêta le temps de prendre une pierre et repartit dans sa course. Lorsqu'elle jugea être suffisamment proche, elle lança la pierre en direction du crâne.

Elle manqua se vautrer au sol lorsqu'il tourna en épingle, et se rattrapa sur une jambe pendant qu'il disparaissait derrière une porte à moitié ouverte. Elle le prit en chasse, mais lorsqu'elle voulut elle aussi rentrer dans la maison, il poussa la porte pour la refermer. Konfety poussa de son côté de toutes ses forces, forçant le passage, et comme il ne semblait pas vouloir la laisser entrer, elle passa son pied pour bloquer la fermeture de la porte, puis le bras gauche, et glissa comme une anguille à l'intérieur, ripant contre la porte qui, finalement, ne voulait pas se fermer. Elle se rattrapa de justesse pour la deuxième fois, et une fois à l'intérieur, fut surprise par l'obscurité des lieux. Les fenêtres étaient recouvertes de crasse et laissaient peu de lumière entrer. L'endroit sentait mauvais, mais plus encore, elle fut frappée par l'état de la pièce principale. Les maisons qui s'alignaient sur toute la longueur des ruelles l'avaient toujours très peu intéressée, si bien qu'elle n'y était jamais entrée, mais force était de constater que ces lieux avaient, un jour, eu des habitants qui avaient, au mieux des cas, désertés, et au pire des cas s'étaient fait massacrer dans les ruelles.
Chez moi aussi, c'est comme ça, en fin de compte...
Et puis son regard tomba sur l'homme aventureux et elle se souvint pourquoi elle était là. Elle s'avança vers lui, agacée.
- Vous savez, on peut résoudre cela rapidement. Laissez-moi simplement lire votre message, et on n'en parle plus.
Elle tendit la main, l'invitant à y glisser le petit papier, espérant qu'il se montrerait coopératif.

Il faisait sombre, ici. Les fenêtres étaient tellement encrassées qu'on n'y voyait rien, à moins d'être collé. Mais l'homme qu'elle avait pourchassé était si peu discret qu'elle n'eut aucun mal à suivre ce qu'il faisait. Il était également tellement maladroit et tellement en colère qu'il moulinait devant et au-dessus de lui comme un enfant apprenant à manier une arme. Elle ne s'attendait pas à ce qu'il réagisse de la sorte. Comme elle le pensait, les habitants étaient tous des larves lobotomisées qui se cachaient derrière les jupes des Bonnes Sœurs. Ils ne faisaient jamais rien d'autre que prier et aller faire leurs courses à l'épicerie. Ils ne se protégeaient même pas, et il n'était pas rare de croiser leur cadavre au détour d'une ruelle, un matin. Tous des bons à rien, vraiment, mais celui-là, il tenait la palme de l'emmerdeur.

Konfety se jeta sous la table et se faufila de l'autre côté, poussant les chaises qui la gênait pour sortir. Elle en attrapa une par le dossier qu'elle leva à hauteur de visage, et d'un mouvement horizontal, l'envoya valser dans le visage de l'homme. Qu'il tombe ou pas, qu'il se prenne la chaise ou non, elle savait que cela le déstabiliserait. Elle envoya la chaise s'échouer au sol, leva son pied et le poussa avec force. L'arme d'infortune que tenait l'homme la frappa dans la jambe, en plein sur l'os. Elle poussa un cri de douleur et répondit par un coup de coude dans le visage. Après quoi, elle chercha à se saisir du poignet qui tenait le pied de chaise et de son autre main, l'attrapa à la gorge.

Elle n'avait plus envie de jouer. Le temps passait et Konfety était pressée, et il fallait avouer que cet homme ne l'amusait plus. Son visage, jusque-là éclairé d'une satisfaction incompréhensible, se figea dans une colère qui signifiait qu'elle ne laissait plus rien passer. Il était difficile ici d'obtenir la moindre information. Les gens ne coopéraient jamais, mais se plaignaient à longueur de journée de la difficulté de survivre, quand elle, se débattait pour obtenir un simple et minuscule bout de papier ? Qu'avaient-ils tous à se comporter comme des chiens, des crétins consanguins aussi lâches qu'inutiles ? Qu'avait-il, lui, à lui refuser ce à quoi elle aspirait, lire ce qui lui semblait être une simple mission de pacotille envoyée par les hauts Saints perchés qui considéraient les habitants comme du bétail ? Qu'avait-il, lui, à lui refuser la simple connaissance d'une phrase, peut-être, qui ne changerait rien à son destin à lui, puisqu'elle était quasi certaine que, quoi qu'on lui ait demandé, il ne réchapperait jamais vivant à sa quête ? Qu'avaient-ils donc tous à la rendre aussi barge en lui refusant ce simple accès à un stupide insignifiant bout de papier ?
Qu'avaient-ils tous à se cogner contre ses décisions, à la contredire et à lui barrer la route, quand tous ceux qu'elle croisait savaient qu'elle était un ouragan inarrêtable sur son passage ? N'allaient-ils jamais comprendre qu'il était inutile de lui refuser quoi que ce soit ? Qu'il était inutile de lui opposer la moindre résistance ? Que la seule pensée de la freiner dans ses jeux la mettait hors d'elle, et qu'elle était parfois bien plus dangereuse que ce contre quoi ils se battaient tous ?

Konfety n'avait pas sa machette. Elle avait parfaitement conscience de cette vérité, sinon, il aurait été certain qu'elle l'aurait séché aussi sec et se serait emparé du bien convoité bien plus rapidement. Mais elle était dans une maison, dans une cuisine, qui plus est, et les outils, ici, ne manquaient sûrement pas. Mais avant ça... elle s'empara de la chaise qui lui faisait obstacle et la souleva au-dessus de sa tête. Elle avança en direction de la porte qu'elle fracassa à coup de meuble et de pied, et ce ne fut qu'une fois que la porte céda complètement qu'elle retourna à l'intérieur de la cuisine et fouilla dans les tiroirs. Elle cherchait des couteaux de cuisine, ou quelque chose de similaire, et lorsqu'elle tomba dessus, elle s'en saisit de quelques exemplaires, et prit rapidement la porte. L'homme, dehors, courait comme un demeuré. Elle le prit en chasse, sans courir dans un premier temps, mettant le jour dans ses pensées. Il zigzaguait tel un animal prit en chasse au milieu de la rue, et elle avançait droit dans sa direction, et plus le temps passait, plus elle sentait la pression monter en elle, et plus elle accélérait le pas, si bien qu'elle se surprit, à un moment, à courir. L'objet de son attention était maintenant proche, et parfaitement concentrée, elle leva le bras et envoya un premier couteau droit sur sa cible.

C'est ce qu'elle se dit, lorsqu'elle vit le couteau se ficher dans le dos, et le corps basculer en avant. L'imbécile poussa un cri lorsqu'il tomba à la renverse, et elle n'eut pas de mal à le rattraper. Quel misérable petit ver de terre, si pitoyable maintenant qu'il ne pouvait plus galoper comme un lapin.

Konfety freina sa course, si bien qu'elle marchait lorsqu'elle arriva à hauteur de l'insignifiant personnage. Elle le dépassa, ses petites chaussures foulant le sol comme une ballerine, et se posta devant lui, l'obligeant soit à s'arrêter à sa hauteur, soit à la dépasser. Mais elle ne comptait pas lui laisser autant de temps. Elle était pressée, l'agent Sue Maryia l'attendait.
" Ah ! On fait moins le malin, maintenant. " lui souffla-t-elle tandis qu'elle l'observait avancer, mouliner le sol de ses petits bras inutiles, ramper comme une larve. " Ttt, ttt, ttt, ttt, ttt... " Elle secoua ses petites nattes, navrée.
À chaque fois qu'il avançait, elle reculait d'un pas, s'écartant pour qu'il ne puisse la toucher, mais toujours en le dominant de sa hauteur, jubilant presque du spectacle. " C'est fou, j'ai visé juste. Pourtant, c'est la première fois que je fais ça. J'ai eu de la chance. "
Elle se pencha en avant, attrapa la lame de son couteau de ses deux mains, et tira vers le haut. La lame se dégagea dans un bruit étrange, et elle manqua tomber en arrière sous le choc du mouvement. Elle se rattrapa de justesse et dut se mettre sur le côté pour se rétablir. Quoi qu'il en soit, elle avait de nouveau une arme, et lui était blessé, maintenant.

Elle soupira : " Il fallait me donner ce papier quand je vous l'ai demandé. Il n'y aurait pas eu autant d'histoire. ", et presque navré, elle se pencha au-dessus de lui et lui planta le couteau au niveau de la nuque. Elle pensait que cet endroit serait bien plus facile à transpercer qu'une boîte crânienne ou qu'une colonne vertébrale, bien que celle-ci, elle l'avait peut-être déjà bien attaquée.

Récupérer le couteau fut moins aisé qu'elle le pensait. Planter une lame au milieu d'un os avait semblé facile, mais le retirer était une autre paire de manche. Konfety dut se mettre à genoux, prendre le manche du couteau à deux mains et tirer sèchement à la verticale pour l'enlever. Ce qui se passa ensuite fut aussi perturbant : le corps qui bouge légèrement, le sang et ce vide dans ses yeux qui, quelques secondes avaient, avaient laissé paraître tant de haine à son égard. Elle y avait vu de la vie, alors, mais là, à cet instant, elle se rendit compte que si l'homme ne bougeait plus et ne respirerait plus, c'était de sa faute. Cependant, à cet instant précis, elle ne savait pas si cela lui faisait quelque chose. Elle était tant concentrée par sa mission qu'elle ne pensait à rien d'autre. Alors peut-être que la réponse lui viendrait plus tard.

Pour l'heure, elle avait une tâche à accomplir : récupérer le petit papier. Elle se pencha en avant, et faufila ses doigts dans le creux de la main de l'homme. Le petit papier s'y trouvait bien. Elle l'attrapa du bout de ses doigts, déposa le couteau au sol, glissa le papier dans sa main gauche, le déplia, et le lut.

De ce qu'elle s'en souvenait, l'écriture était la même : une écriture ronde qu'elle avait du mal à lire. Elle put cependant déchiffrer le message, qu'elle ne comprit pas plus que les autres. Un assemblage de mots qui ne voulaient rien dire, si on les prenait pour ce qu'ils étaient : des phrases. Mais pris séparément, elle put cependant avoir quelques idées sur ce que ça voulait dire.
" Le grand chien ", c'était sûrement une allusion au chien qu'elle avait pu croiser dans le Sanatorium, et dont l'agent Sue Maryia lui avait volé la mort. D'ailleurs, en y pensant, de nombreux mots semblaient faire allusion au Sanatorium, et en particulier cette phrase, qu'elle interpréta comme telle : "Lumière et Ténèbre se tiennent par la main". Le Sanatorium n'était-il pas l'ombre du passé de l'hôpital, dans lequel elle aimait s'y perdre, à la recherche de sa Némésis, celle qui avait détruit une partie de son âme ?
La suite du texte, cependant, était nébuleuse. Elle n'avait aucune idée de ce que signifiait un "hameau", et en termes de désolation et d'abomination, tout le village était concerné.

Bon, quoi qu'il en soit, Konfety savait qu'elle n'était pas celle qu'il fallait pour résoudre les énigmes. Son travail à elle, c'était de les chasser, et de les rapporter à l'agent. C'était son travail à elle, de les décrypter. Konfety n'avait pas envie de perdre du temps à chercher les secrets enfouis sous ces textes flous sans queue ni tête. Mais un doute l'assaillit, subitement : et si l'agent était partie ? Et si elle ne l'avait pas attendue, et était partie à la recherche des autres indices ? La retrouverait-elle facilement ? L'angoisse la prit, et elle se sentit, un instant, perdue.
Que devait-elle faire ?