La Tour rouge se dressait au milieu des arbres telle une gigantesque bâtisse abandonnée. Dans l'obscurité, les murs unicolores semblaient sans vie, les fenêtres ne renvoyaient aucune lumière, et aucun bruit, pas même à l'extérieur, ne venait ponctuer l'endroit d'une quelconque misérable vie.
Plantée à quelques mètres de là, Konfety souriait. Vêtue de son indémodable petite robe noire, de ses collants à rayures noir et blanc et de ses petites chaussures de ville, coiffée de deux gigantesques nattes posées de part et d'autre de son petit cou délicat, elle ressemblait à une petite fille malicieuse. Mais dans sa main droite pendait une machette aussi longue que ses jambes et qu'aucune obscurité ne pouvait dissimuler. Le reflet brillant de la lame dans l'obscurité renvoyait toute la noirceur d'âme dont pouvait faire preuve Konfety.

Cela faisait quelques minutes à peine qu'elle venait d'arriver, mais son visage, loin de marquer la peur dont elle devait faire preuve devant cette bâtisse si austère, se targuait d'un sourire qui semblait vouloir crier tout le mensonge que renvoyait cet endroit. Pour y être entrée une fois, Konfety savait bien que ce bâtiment n'avait rien d'abandonné. Loin du silence et du froid, il abritait nombre de monstres plus différents les uns que les autres. Elle y était morte une fois, et comptait bien, cette fois-ci, comprendre les ficelles de cet endroit, tous ses secrets et pourquoi pas, comprendre un peu mieux le fonctionnement de ces êtres qu'on nommait "monstres".

Elle avança avec résolution vers la porte de la tour, qu'elle ouvrit doucement, aspirant avec délice toute l'intensité de ce geste qui, en d'autres circonstances, pourrait être anodin, mais qui dans ce cas précis signifiait qu'elle retournait au combat. Qu'elle remettait sa vie en jeu, encore une fois. Avec toute cette conscience et sans le moindre remords, elle entra dans la tour, et referma la porte derrière elle.

2 mai x112 - 21:03 - premier monstre

Un objet brillant fusa devant ses yeux. La pièce était vide lorsqu'elle y est entrée, alors l'espace d'une seconde, Konfety ne comprit pas ce qu'il se passait. Elle eut l'instinct de s'arrêter - la peur, sinon, et cela lui sauva surement la vie car la lame qui avait faillit se planter dans son crâne échoua devant ses jambes.

Konfety serra fermement sa machette dans sa main droite. Au niveau de la porte d'entrée, elle n'avait pas la place pour agir, alors elle s'avança vers le milieu de la pièce, et jeta rapidement un coup d’œil alentour pour vérifier qu'il n'y en avait pas d'autres. L'infirmière était seule, et déjà, elle relevait son cure-dent et la menaçait une nouvelle fois. Konfety leva sa machette à hauteur de son épaule droite, lame plate regardant vers le plafond. Elle savait qu'en dehors de porter des coups, elle ne savait pas s'en servir, alors il était inutile de parer une attaque avec. Lorsque l'infirmière porta son second coup, Konfety recula prestement en direction du bureau et évita le coup en basculant sur le côté. Alors, elle maintint fermement la machette à deux mains et frappa horizontalement au niveau du visage.

L'infirmière taillait dans l'air d'une main vive mais peu éclairée. Konfety se demanda si l'infirmière y voyait quelque chose ou si ses yeux avaient perdu leur utilité, et si l'infirmière frappait au hasard en espérant faire mouche à chaque fois, mais elle n'eut pas l'occasion de faire le moindre essai, car le visage calciné du monstre se fendit d'un trait rougeâtre et bientôt, le crâne se sépara en deux, une partie toujours rattachée au corps et l'autre glissant jusqu'au sol.

Konfety ne pensait pas avoir atteint sa cible avec autant d'efficacité, ainsi, c'est avec étonnement qu'elle regarda l'infirmière basculée en avant, raccourcit d'un morceau de visage. Elle observa la scène de très loin, à la fois émerveillée et étonnée par ce qu'elle voyait. Jamais encore elle n'avait vu de corps coupé en deux, aussi enregistra-t-elle tous les détails qu'elle put dans le peu de temps qui lui fut confié. Et ce n'est que lorsque le sang poisseux et puant de ce monstre toucha le bout de ses chaussures qu'elle retrouva ses esprits, et se recula vivement jusqu'au bureau, prête à grimper dessus pour échapper à ce blob visqueux qui semblait vouloir la pourchasser jusqu'à la fin.

Konfety posa sa machette à côté d'elle, le temps de reprendre son souffle. Il y avait quelque chose de fascinant à contempler ce corps convulsant, secoué de soubresauts, luttant encore désespérément contre la mort sans pouvoir y échapper. C'était comme regarder un animal prit dans un piège et le voir se débattre avec toute la hargne et l'espoir dont il pouvait faire preuve, tout en sachant que cet espoir était vain. De l'autre côté de la cage, dépositaire du choix, de la vie et de la mort, on ne pouvait que jubiler à posséder autant de pouvoirs et à se demander quand on allait s'en servir, et surtout à quelles fins ?
Elle, elle était comme un rat déjà mort, un rat qu'un chat aurait déjà mangé et qui continuerait à lutter pour perpétuer son espèce, à lutter contre la fatalité les poumons plein d'eau et prête à se noyer. Et puis le corps cessa tout mouvement et Konfety cessa toute tergiversation.

Elle agrippa sa machette au niveau du pommeau, et d'un mouvement leste sauta au sol. Elle s'avança vers le cadavre en prenant soin de ne pas salir ses petites chaussures. Elle contourna le corps immobile, tombé mi-face contre terre, et s'avança jusqu'à atteindre la partie perdue échouée au sol. Là, elle s'agenouilla et enfourna les quelques cheveux retenus sous la coiffe, et la porte à hauteur de son visage. Que pouvait bien lui dire ce morceau de cadavre ? À quoi ressemblait le monstre sous ces étoffes d'infirmière ?
Qu'importe ! Elle ouvrit les doigts, lâchant sa prise qui tomba sur le sol tapissé de sang noir.

Konfety se redressa, releva sa machette à hauteur de sa hanche, et d'un mouvement sec gifla l'air, se débarrassant du sang qui la souillait.
- Et d'une.

Un sourire tordit sa bouche alors qu'elle s'avançait vers la seconde salle, la machette légèrement relevée, plat de la lame en direction de la seconde porte. Prête à servir.

2 mai x112 - 21:28

Elle aurait reconnu cette odeur parmi toutes, pour avoir, pendant un moment de sa vie, passé ses journées dans le Parc sans nom, et combattu ces monstres, qu'elle pensait être envoyés directement par Nevroze. Le temps lui avait appris que non, qu'ils étaient simplement comme elle : des errants arpentant les rues enneigées à la recherche de quelque chose à tuer. Les monstres cramés qui venaient tout droit de l'ancienne école.

Elle les entendait marcher, tourner en rond, sans but. Sans âme. Sans vie. Et cela lui renvoya une impression de facilité, bien qu'elle comprit qu'il n'y en avait pas qu'un seul. Elle les avait déjà entendu pleurer, et elle savait de source sûre qu'ils ne pouvaient pas grimper. Mais ici, il n'y aurait pas d'arbre pour la sauver s'ils étaient plusieurs.
Elle avança au niveau de l'entrée de la deuxième pièce, restant dans le couloir pour observer ce qui se trouvait dans cette nouvelle pièce. Des Burnt Child, c'était bien ça, et trois, errant comme des fantômes, le corps tombant en lambeaux sur le sol.

Elle avait l'habitude de les voir dans un environnement baigné de neige, alors, les voir ainsi errer dans une si petite pièce lui fit une impression bizarre. Comme s'ils n'avaient rien à faire dans cet endroit... Une tache au milieu d'un vêtement.
Bah, qu'importe ? Elle était là pour les tuer après tout.
Combien y en avait-il, en vrai ?

Elle réfléchit. L'espace était si petit qu'elle risquait fort bien de se faire dévorer si elle ne prenait pas garde, mais... ce n'était que des enfants, peu habiles et peu rapides. Comment pourrait-elle faire pour les avoir tous les trois ?
Elle avança prudemment, prenant garde à ne pas faire claquer ses petites chaussures sur le sol. En général, ils se suivaient, alors, elle observa quelques instants leur danse et décida de s'attaquer à celui qui se trouverait derrière. Le dernier de la queue. Ils semblaient ne pas avoir de destination précise, et dans cette petite pièce, il était difficile de déterminer dans quel sens ils iraient. Leur ronde n'était pas parfaite et ils avaient tendance à tourner ou à revenir sur leur pas sans prévenir. Mais il y en avait toujours un qui se trouvait derrière, à la traîne. Là. Celui-là. Elle en discerna un, qui se tournait toujours après les autres, qui suivait toujours après les autres. Alors elle attendit le moment où ce dernier fut le plus proche d'elle, et qu'il se tourna pour lui montrer le dos. Elle leva sa machette et l’abattit droit dans le crâne. Ensuite, elle tira sur le manche, et recula vivement dans le couloir, de sorte de ne pas être vue, ou bien de pouvoir fuir dans sa retraite.

2 mai x112 - 21:56 - deuxième monstre

Il y avait quelque chose de fascinant dans la façon dont les corps s'émiettaient lorsqu'un corps étranger venait s'enfoncer dans la chair. Konfety aurait pu passer l'heure qui suit à observer ce phénomène, à analyser les réactions du brûlé, à tenter de percevoir ses émotions - en avait-il seulement ? Malheureusement, deux autres enfants l'avaient prise en chasse et il ne leur fallu que peu de temps avant de la rattraper, juste le temps de sortir la machette profondément enfoncée dans le crâne.
Bien joué...

Un instant paniquée, Konfety eut le réflexe de se retourner et de fuir, mais... le couloir étroit ne permit pas aux deux Burnt Child de progresser comme ils le souhaitaient et de l'atteindre tous les deux en même temps. C'était une aubaine. Konfety avait toujours été traitée de tête brûlée, d’écervelée et surtout trop bête pour réfléchir avant d'agir, mais là, il fallait bien l'avouer, elle avait eu un éclair de génie. Jusqu'où le géni irait-il ?
Konfety décolla le pied droit du sol et envoya valdinguer d'une poussée le premier Burnt Child en espérant qu'il atteindrait et ferait basculer l'autre. Et si le plan fonctionnait, elle donnerait dans un second élan une nouvelle fois un coup de matraque, cette fois sans la planter dans le crâne, mais à l'horizontale, afin de séparer les yeux de la bouche.

2 mai x112 - 21:58 - troisième monstre

Elle savoura sa victoire avant même de l'avoir atteinte. Un fin sourire illumina son visage alors que le dernier Burnt Child se lançait à sa poursuite, les bras ballants dans sa direction, courant sans le savoir à sa propre mort. Bah, une formalité après les deux autres, n'est-ce pas ?

Konfety prépara son bras, imaginant au passage de quelle manière elle allait bien pouvoir l'éliminer, celui-là ? Pouvait-elle se contenter de simplement pointer son arme en avant et attendre qu'il ne s'empale dessus ? Le fendre comme les autres, de la mâchoire jusqu'aux yeux ? Partir du haut cette fois ? Ou bien l'éventrer et l'alléger de ses viscères ? À peine se posait-elle ces questions qu'elle les trouva ennuyeuses et s'en détacha. Finalement, la partie était bien plus drôle lorsqu'il y avait de l'enjeu. Mais ne fallait-il pas rester concentrée, et ne surtout pas sous-estimer son adversaire. Elle le savait pour l'avoir toujours fait à ses propres dépens...
Un soupir s'échappa de sa bouche tandis que le Burnt Child arrivait près d'elle. Poing gauche fermé et plat de la machette posée dessus, elle attendit que le coup parte seul, se libérant de toute tergiversation. C'est donc une nouvelle fois en fendant l'air de bas en haut dans la diagonale qu'elle frappa, non sans ennui mais avec une certain application.

2 mai x112 - 22:00 - quatrième monstre

Le crâne se fendit en deux. Le corps glissa, mort, sur le sol, recouvrant de plus belle le parquet appauvrit de la première pièce. Konfety récupéra sa machette, et d'un mouvement sec secoua la lame pour l'alléger du sang, l'envoyant gicler sur le mur.
En quelques pas, elle rejoignit la seconde pièce dans laquelle la porte en bois de la prochaine suite l'attendait. Elle ferma les yeux. Pendant quelques instants, elle s'offrit le luxe du silence, se délestant de toute pensée, de toute peur, de tout sentiment. Elle fit le calme en elle tandis que rien ne captait de la troisième pièce. Quand elle se sentit prête, elle ouvrit les yeux, résolue. En quelques pas, elle atteignit la porte close. Sa main droite se posa sur la poignée. La tourna.
L'ouvrit.

Cette fois, arriverait-elle au bout de cette tour infernale ?

2 mai x112 - 22:07

Elle en avait tué quatre. Quatre monstres insignifiants avec une facilité déconcertante, et voilà que son périple semblait arriver à sa fin. Comme la première fois, il fallait toujours qu'une sorte de monstre démesurément fort ne détruise son ascension. Elle allait mourir, cette fois, elle le savait. Est-ce que cette perspective lui faisait peur ? Elle essaya de se rappeler les nombreuses fois où elle était morte. Ses souvenirs étaient flous, bien trop de temps s'était passé depuis et entre chaque moment. Il y en avait une, de mort, dont elle se souvenait parfaitement pour en être hantée toutes les nuits. Une mort qui lui avait laissé des séquelles indélébiles... Mais de cette tour... ? Oui, elle se souvenait d'un monstre à la peau très blanche, mais tout avait été tellement vite qu'elle ne se rappelait pas des détails. Elle ne se rappelait pas si elle avait eu mal ni même si elle avait eu peur. Frénétique, certainement, mais... en tout cas, elle en était revenue, alors... cette fois, il semblait bien pourtant que ce fût la fin.

Il lui restait peut-être une solution : faire demi-tour. Mais le pouvait-elle ? Si elle se retournait, le monstre profiterait-il de cet avantage pour la transpercer de son cure-dent géant ? Pour l'heure, il ne bougeait pas d'un poil. Peut-être attendait-il l'occasion pour la tuer d'un seul mouvement ? Si tel était le cas, il lui fallait profiter de l'avantage de la petitesse des lieux. Ne pas fuir mais combattre, c'était son seul salut. Mais comment ? Comment atteindre un tel monstre ? Elle le savait puissant, elle le savait beaucoup trop fort, et pourtant.. Mais n'en avait-elle pas déjà combattu un, ici-même, dans cet endroit ? Elle ne savait plus.
Qu'importe, il était là et elle devait agir.

Elle prit une grande inspiration...

Cet être aux dimensions surnaturelles l'impressionnait. C'était ça, oui. Il l'impressionnait. Tout dans son aspect : son bec d'oiseau, son grand manteau dans lequel il semblait si bien protégé, sa taille, et nom de Dieu cette arme ! Et si elle le tuait, saurait-elle la lui voler ? La dérober et s'en servir ? C'était une idée tentante, mais arriverait-elle seulement à la soulever ?
Machette bien en main pointée vers le bas, lame légèrement tournée sur le côté, elle fit un pas en avant et sitôt se pencha en avant, espérant esquiver le coup qui viendrait. Un cure-dent, ça se plantait. Il attaquerait sûrement vers l'avant, ainsi prit-elle la décision de faire un saut sur le côté et de rouler en direction des pieds. Si elle le collait, peut-être aurait-il moins d'espace pour bouger ou pour frapper ? Ainsi donc fit-elle un bond en direction de sa propre droite, penchée vers l'avant pour esquiver ce qui viendrait d'en haut tout en évitant ce qui viendrait directement d'en face, roula et se retrouva en équilibre sur ses chevilles douloureuses, accroupie tout près de son corps. Et de ses deux mains maintient le manche et remonta vers le haut, frappant la jambe gauche qu'elle espérait sectionner en deux.

2 mai x112 - 22h18 - cinquième monstre

Le coup de botte qu'elle se prit dans le ventre lui coupa la respiration. L'espace d'une seconde, sûrement, elle se dit que le jeu était terminé, qu'il allait la planter là de sa lance et finit, l'ascension de la Tour, terminé tout espoir de vaincre. Elle retournerait sagement dans son lit.
L'espace d'une seconde, elle crut qu'elle allait encore mourir.
Mais c'était sans compter sur le fait que la lame de sa machette lui renvoyait, aussi brillante qu'un liquide poisseux noirâtre consumé dans la nuit, le reflet du sang que le monstre avait perdu. Et qui pouvait saigner pouvait mourir. Elle en avait la certitude.
Cependant, elle eut du mal à se relever. Le coup porté au ventre lui faisait mal, et chaque mouvement du corps lui donnait l'impression qu'on lui enfonçait sa cage thoracique un peu plus profondément qu'il ne devrait l'être. Des lames de couteaux lui enserraient les entrailles, lui supprimant tout espoir de survie.
Elle ouvrit la bouche, tenta de prendre une grande inspiration, ses poumons se bloquèrent sous la douleur. Elle tendit la main, essaya de rattraper le manche de la machette qu'elle avait perdue sous le choc et avait glissé à quelques pas seulement de là. Elle essaya de se hisser, telle une chenille écrasée, sur le bras gauche, rattraper son arme, sa seule perspective de survivre.

Cela lui fit comme l'effet d'une flamme ardente dans la jambe, dévorant la chair de l'intérieur. Une douleur fulgurante, insupportable, telle qu'elle n'en avait jamais connue auparavant. Pas même quand on lui avait trifouillé les boyaux, ni même quand Elle lui avait rompu le cou, là, au milieu de ce couloir froid et silencieux. Ses yeux s'embuèrent de larmes tandis que ses mains se portaient instinctivement au niveau de la douleur, appuyant de toutes leurs forces, comme si ça pouvait la contenir. Le monstre au dessus d'elle la regardait, et levait sa lance, prêt à recommencer. Il jouait, c'était certain. C'est ce qu'elle aurait fait si elle avait voulu faire souffrir plutôt que tuer, mais jamais elle ne se serait douté que ces monstres-là avaient la capacité de réfléchir et d'user de stratégie. Barbares comme ils sont, elle les pensait plutôt du genre à massacrer sans vergogne et sans même regarder ce qui se trouvait devant la lance.
Mais qui peut saigner peut mourir.

Il lui fallut du courage, une dose extraordinaire de volonté pour détourner son esprit de la douleur et retourner dans le combat ; mais enfin, elle y parvint et de nouveau se pencha en avant pour récupérer son arme. La main tâtonna dans le vide, et à force de tirer parvint à agripper le manche et à le ramener jusqu'à elle. Une fois l'arme bien en main, elle se sentit, malgré tout, moins vulnérable.
Elle se redressa tant bien que mal sur son séant. Mieux vaut mourir assise plutôt qu'étalée comme une bouse au sol.

Mourir assise, certes, mais mourir le temps venu. Et Konfety ne comptait pas se laisser tuer si facilement. Elle était blessée à la jambe, et la douleur lui faisait si mal qu'elle préférait ne pas tenter le diable et se lever, mais c'était oublier que lui aussi était blessé, et à la jambe également. Aussi étaient-ils à égalité, ou du moins c'est ce qu'elle essayait de se convaincre, car contrairement à elle, le monstre ne semblait pas souffrir de sa blessure. S'en était-il seulement rendu compte ?
Il n'était donc pas question pour elle de se lever, c'était signer sa propre mort, mais elle avait encore des choses à faire. C'est qu'il était un peu lent et butor également. Il répétait toujours les mêmes gestes.
Aussi, quand la lame de la lance se pointa devant sa poitrine, elle attrapa sa machette à deux mains, et tandis qu'elle se jetait sur le côté pour esquiver, mis tout son poids dans la lame afin de briser le manche de la lance.

La machette ne passa pas au travers, et tandis que Konfety tirait sur dans ses bras, pensant sectionner le manche en deux et se débarrasser de son ennemi d'un simple mouvement, elle sentait le bois lui résister, la douleur naître et grandir dans ses épaules et ses bras menus. L'espace d'une seconde, le temps de basculer sur le côté, portée par son élan, tandis que le monstre allait s'effondrer contre le mur, foudroyant la pièce d'un clac sonore.
La pointe se sépara de sa hanse et s'échoua au sol. Mais elle n'eut pas le temps de penser plus longtemps que le Beak Keeper se débarrassait avec désinvolture de son arme et l'envoyait valser encore une fois d'un coup de pied destructeur dans le ventre. Konfety sentit deux impacts successifs : d'abord, le coup de pied ; ensuite le mur dans son dos lorsqu'elle le percuta, et aussitôt, il se tenait devant elle et la décollait du sol, la soulevant d'une seule main.

Dans sa main droite, Konfety sentait le contact froid du manche de sa machette la rappeler à son bon souvenir. Lui intimant de se servir d'elle. Mais c'était douloureux. La main l'étouffait et cherchait à la broyer tandis que la force même du bras cherchait à l'enfoncer dans la paroi qui les séparait de l'autre pièce, à l'y faire disparaître. L'emmurer vivante.
La sensation du gant de cuir sur sa peau la gênait, mais moins que le fait d'avoir les pieds dans le vide, de ne pouvoir reposer nulle part. Oui, car c'était comme avoir l'impression de n'avoir nulle part où aller... Et le manche de la machette glissait doucement entre ses doigts tandis qu'elle perdait pied peu à peu. Mais c'était sans compter sur sa soif de détruire, bien plus puissante que son envie de mourir. La haine farouche qu'elle éprouvait pour ce monde lui apportait force et détermination, et c'est de cette force qu'elle puisa tout le courage nécessaire pour attraper fermement sa machette avant qu'elle ne soit perdue, que tout ne soit perdu, de la faire remonter dans le creux de sa main d'un mouvement. Alors elle la tenait, et sans faire de bruit, la fit glisser jusqu'à sa poitrine, lame encrassée de sang vers le haut, de la prendre à deux mains, et...

L'air lui manquait. Elle devait faire un choix. Tenter de couper le bras sans avoir la force nécessaire pour y parvenir ? Ou bien... Les solutions étaient nombreuses, mais avaient-elles toutes les mêmes chances de réussite ? Konfety en doutait, d'autant plus que son air s'amenuisait. Il n'y avait qu'un seul moyen de s'en sortir.
Un seul...

Elle tenait le manche à deux mains, lame tournée vers le haut, et alors qu'il la maintenait dans le vide pour la faire sombrer, elle mena la lame au niveau du menton et d'un mouvement sec, brutal, guida la lame à travers la gorge, en direction de la mâchoire dissimulée sous le masque en forme de bec. Sa seule chance de s'en tirer était de lui transpercer le crâne, ou à défaut, la base du visage. Lui faire lâcher prise et le supprimer de toute possibilité de respirer par la même occasion.
Elle espéra. Le temps d'une fraction de seconde.

Elle ne s'attendait pas à tomber. À dire vrai, elle ne s'attendait pas à grand-chose, si ce n'est sentir la poigne du Beak Keeper lui sectionner les nerfs de la gorge et peut-être même séparer son corps en deux... Au lieu de quoi elle sombra au sol et n'eut pas le temps de se rattraper correctement. En plus des douleurs fulgurantes qu'elle ressentait dans la poitrine s'ajouta une nouvelle blessure à la cheville qui la fit, sur l'instant, lâcher son arme.
Ses yeux pleuraient sans qu'elle ne le veuille, si bien qu'elle n'y voyait plus grand chose non plus. Elle passait sûrement ses dernières heures en ce lieu, mais au moins pourrait-elle se venter d'avoir fait tout ce qu'elle avait pu, et plus encore, peut-être ? Ah, mais qui écouterait ses histoires, d'ailleurs ? Avait-elle seulement quelqu'un à qui les raconter ?

Elle serra les dents. Jura sans mot, et se faufila comme une anguille vers l'arme qu'elle avait lâchée, son salut, son seul espoir de survivre. Si peu. Dans l'état actuel des choses, elle ne pouvait rien faire contre lui. Bien trop fort, bien trop grand, bien trop costaux. Lui couper les membres était chose impossible, il fallait le faire tomber. Le faire basculer en avant. Là, peut-être aurait-elle la possibilité de le priver de ses atouts les plus précieux. Mais encore fallait-il y arriver...
Lui tourner autour aurait été une solution, mais Konfety n'avait plus la force nécessaire pour quoi que ce soit. Brisée de toute part, elle se débâtait contre la mort telle une mouche s'acharnant contre une fenêtre fermée. Tout espoir de sortie était impossible si personne ne venait la lui ouvrir...

La rage la submergeait. Telle une boule suffocante au travers de la gorge, elle se glissait dans tout son corps et s'échappait sous forme de larmes. Au creux de ses poings serrés, la fureur s'exaltait. Car au fond, elle savait que son salut résidait dans la fuite, mais son orgueil était, à l'instant, tellement grand qu'elle ne saurait s'abandonner à une telle bassesse. Mais plus encore, elle n'était pas encore prête à se laisser mourir. Pas après le prix de temps d'efforts. Pas après s'être battue avec autant d'acharnement et avoir vaincu la mort tant de fois.
Cet endroit se moquait d'elle, de ses prouesses et de son courage. D'aucuns diraient de sa folie, mais qu'importe, le fond restait le même. Se battre avec toute sa volonté, vaincre au prix de grandes souffrances. Voir enfin la lumière, jusqu'à ce qu'une main puissante ne vienne refermer la porte, et puis se retrouver gisant au sol, vidé de toute substance. Vaincre, et puis quoi ? Périr. Un soldat l'accepterait avec fierté. Un chevalier avec honneur. Mais Konfety n'avait ni gloire ni honneur à en tirer. Juste sa simple satisfaction, et sa satisfaction personnelle s'en retrouvait bafouée.
Elle tomba à genoux, lasse de réflexion, d'un trop d'acharnement et surtout de toutes ses blessures.