début - "La mort a ses raisons..."

Grise comme toute les autres, la matinée avait vu Sue fendre la brume une fois encore, ponctuelle comme une horloge. Dix heures pile et elle sortait de l'immeuble 7. Dix heures dix, elle rejoignait Main Street. Dix heures quatorze et elle faisait jouer son trousseau de clé dans la serrure du bureau de police. Depuis que plus personne ne l'arpentait, le poste avait des allures de maison abandonnée, de squat. Sue roula des yeux avant de retourner la petite pancarte faite sur un bout de carton pour indiquer que le poste était ouvert.

Dépassant l'accueil sans y jeter un oeil, elle s'engagea dans le couloir du fond et débarqua dans son bureau sans s'émouvoir de la poussière déjà revenue et de la table encombrée par tout un tas de paperasse. Machinalement, elle brancha ce qui lui servait de machine à café et tenta de l'allumer. Sans succès. Evidemment. Cette satanée bestiole avait rendue l'âme la semaine passée. Ronchonnant un peu pour elle-même, Sue la débrancha donc et se campa derrière son bureau pour en ouvrir un tiroir. Là, quelques dossiers s'entassaient, certains beaucoup plus anciens que d'autres. Celui qu'elle cherchait était sur le haut de la pile, le plus récent d'entre tous, mais pas forcément le moins épineux. Sur le carton un peu moisi qui l'entourait, on pouvait lire Roza Nervoza.

Ca, et un stylo en poche, Sue fit marche arrière, fermant le bureau derrière elle pour revenir dans le "hall d'accueil". Elle s'installa au poste d'accueil justement, pas qu'elle s'attendait à ce qu'on vienne frapper à sa porte, mais parce qu'il s'agissait encore de l'endroit le plus lumineux du poste avec les grandes fenêtres qui y diffusaient leur lumière blafarde.

En faisant tomber le dossier sur la table, la jeune femme brisa le silence des lieux. Instinctivement, elle suspendit ses gestes les instants qui suivirent, une main près de ses armes, scrutant le bâtiment au cas où. Aucun monstre ne s'était jamais aventuré entre ces murs, mais... Par précaution...

Voyant que rien ne se passait, le lieutenant se tranquillisa et reprit ses activités où elle les avait laissées : poser son sac sur la chaise à côté, sortir son thermos de café, poser sa veste sur sa chaise et s'asseoir face au dossier à compléter. Par habitude, elle mit un peu de musique via son portable. Le son qu'il crachait n'était pas franchement agréable, à ressasser les mêmes mélodies en boucle comme un vieux relatant toujours les mêmes histoires, mais c'était toujours mieux que le silence.

Sue s'enfonça dans sa chaise en jouant nonchalamment avec son stylo, le faisant tourner entre ses doigts alors qu'elle relisait les notes déjà consignées par son ancienne supérieure.

Bloc-Note d'Eva Kryn a écrit:

- RECTO
--> que des filles de joie
--> aucun témoin sauf les filles de joie qui sont à Nevroze. Elles parlent entre elles du meurtre et se lancent des regards. Elles ont entendu le cri de leur semblable
--> toujours tard le soir, pendant affluence
--> un meurtre par semaine, à un jour d'intervalle sauf le Dimanche, jour du repos du Seigneur
Le 1 symbolise l'âtre unique. La prostituée, monstre de la luxure
--> fille retrouvée dans la chambre. La scène laisse à penser qu'il n'y a pas eu rapport sexuel puisque la prostituée n'est pas nue. Elle est ligotée aux poignets, et ses jambes sont attachées par des fils de soie, fins de loin, afin de garder à ses jambes la position écartée : obsénité de la position.
--> aucune trace de résistance.
Le gars avait l'air d'un client parfaitement normal, pas soupçonneux. Il devait âtre habitué à ce lieu.
--> pas de drogue.

- VERSO
samedi :: 1ere semaine : 1er meurtre
dimanche :: 2eme semaine : 0 meurtre
lundi :: 3eme semaine : 2eme meurtre
mardi :: 4eme semaine : 3eme meurtre
mercredi :: 5eme semaine : 4eme meurtre
jeudi ::6xeme semaine : 5 meurtre
vendredi :: 7eme semaine : 6eme meurtre
samedi :: 8eme semaine : 7eme meurtre

Tout cela ne faisait aucun sens aux yeux de Sue. Malgré ses nombreuses allées et venues dans les ruines du bordel, le feu avait détruit tout ce qui aurait pu subsister d'indices et de preuves. S'étant tenue relativement à l'écart de l'enquête à l'origine puisque Nevroze était venue solliciter directement la commissaire à l'époque, Sue ne savait même pas si la Kryn avait récupéré sous scellé le fil de soie ou pris des photos de la scène de crime. Les archives étaient un tel foutoir qu'elle n'avait pas encore eu le courage de s'y plonger...

Soupirant longuement, elle se redressa pour boire une gorgée de café avant de sortir une feuille et de consigner à son tour ce qu'elle avait appris.

Rapport du 26 Avril x112 - Lieutenant S. Maryia a écrit:

11 juin x111

Roza Nervoza a brûlé dans la nuit. La scène de crime a été détruite. Tout s'est effondré.
Ne reste que des ruines et des cendres.
Une main d'homme, noire de suie, a été retrouvée au fond des décombres. Calcinée. Probablement le propriétaire Juben de Ladri. Encore qu'avec les moyens dont je dispose et l'absence de la police scientifique en ville, il soit impossible de confirmer l'identité du cadavre.
Rencontre avec trois créatures, des anciennes prostituées. Semblent douées d'intelligence.
Nevroze était non loin des lieux, leur a donné des ordres (reculer, disparaître dans l'ombre des ruines).
Tentative de l'interroger échouées - j'ai été interceptée et menacée par Kräjen Perfide.

6 mars x112

Retour sur les lieux avec le nouveau commissaire, Sebastian Ankil.
Court échange avec une Belle de Nuit.
Elle confirme l'incendie, la mort de Juben de Ladri qu'elle appelle ancien propriétaire.
Plus étrange, elle semble indiquer avoir fui l'incendie le temps que le bâtiment s'écroule avant d'y revenir.
Insiste sur le fait que les pêchés ont été lavés et ne semble pas voir l'incendie comme un crime (s'est montrée menaçante envers le commissaire quand il a abordé le sujet de mettre le coupable sous les verrous).
Pas de traces de Perfide ce jour-là.

25 avril x112

Seule, je suis retournée sur les lieux du crime à nouveau.
Une Belle de Nuit s'est montrée.
Confirmation de Juben de Ladri étant L'ancien maître et Nevroze la nouvelle Maîtresse.
Nevroze était là, encore. N'a pas fui cette fois. Et pas de traces de Kräjen.
A répété une phrase étrange "les pêchers ont été lavés, la colère apaisée, et les fautes réparées", en insistant sur le fait que "le pêcheur a obtenu le fruit de ses entrailles".

Observations

• Les anciennes prostituées sont aussi mortes que vivantes. Probablement très dangereuses. Semblent plus virulentes contre les hommes. Ne vous laissez pas avoir par leur belles manières : elles sont devenues des monstres comme tous les autres et répondent aux ordres de Nevroze.
Il est possible qu'elles aient pu fuir les flammes mais s'y soient replongées volontairement, peut-être en sachant que Nevroze pourrait les faire revenir. Cela confirmerait l'hypothèse selon laquelle Nevroze est l'auteur de l'incendie.

• L'auteur de la série de meurtres est un mystère. Aucune progression de ce coté-là. A en croire le mode opératoire, et les notes du commissaire Eva Kryn, il se pourrait qu'il s'agisse d'un fanatique religieux mais rien ne le confirme.

• Il nous faudrait un registre des habitués du Roza Nervoza et une étude du fil de soie pour en apprendre davantage. Je doute qu'aller interroger les Ecclésiastes soient d'un grand secours.

Sue se redressa sur sa chaise et laissa échapper son stylo. Elle relut ce qu'elle avait écrit, espérant n'avoir rien oublié. Non, tout y était. Et avec les notes récemment retrouvées d'Eva, il y avait bien trop d'éléments qui pointaient vers un endroit où elle n'avait aucune envie de retourner. L'Eglise... Cette maudite église avec ces maudits religieux vénérant Harmony. Si la luxure était un pêché qu'ils avaient voulu éradiquer de Phantasmagoria, le meurtre semblait bien être toléré... Inconcevable partout ailleurs mais cela ne surprendrait pas l'agent Maryia que ce soit devenue une vertu cardinale ici.

Un rictus étira ses lèvres alors qu'elle finissait sa tasse de café.

S'il y avait bien un endroit où elle ne voulait pas se rendre à Phantasmagoria, outre le 7ème étage de son Immeuble, c'était bien l'Eglise Sainte Maria. L'atmosphère glauque qui y régnait et l'angoissant père Caïn (avait-il fait de Juben de Ladri son Abel ?) n'y étaient pas étrangers, mais c'était surtout la présence de sa mère là-bas qui agissait comme un puissant répulsif sur Sue. Elle jeta un oeil par la fenêtre. Si elle se présentait pour enquêter à l'église, son nom et sa fonction allait se répandre comme une traînée de poudre au sein de leur communauté, sa mère finirait donc par apprendre son retour. Et... Et jusque là, Sue s'était entêtée à le lui épargner. Mais il semblait que cela devait cesser si elle voulait vraiment boucler cette affaire.

Et plus que sa culpabilité de n'avoir pu empêcher les meurtres, plus que sa sympathie incohérente pour Juben de Ladri, résoudre le mystère de la maison close lui importait désormais à cause de l'implication de Nevroze dans ce lieu. Si les prêcheurs du culte d'Harmony s'en étaient pris aux protégées de Nevroze, cela dénotait d'un conflit... familial. Et c'était peut-être la preuve que les Perfide n'étaient pas tout puissants. La preuve dont Sue avait besoin pour se convaincre que son combat n'était pas vain.

-D'abord... Les archives.

Oui. D'abord les archives. La policière se leva, coupant sa musique pour fourrer son téléphone dans sa poche et balancer son sac sur son épaule, abandonnant simplement son rapport et le dossier fermé, sa veste et son thermos de café là. Sans songer à indiquer que la maison de police était fermée, elle s'engouffra dans le couloir pour gagner les archives. Si elle avait de la chance, Eva Kryn aurait gardé le fil de soie sous scellé et si le destin était de son côté, l'ancienne commissaire aurait emprunté un registre du Roza Nervoza avant que tout ne parte en cendres.

Mettre de l'ordre sur l'échiquier • Poste de police

Avant la disparition de l'agent Eva Kreen (qui a une explicatione n background), on peut supposer qu'elle a fait son boulot correctement, en dehors du fait qu'elle n'a pas réussi à interroger la jeune ex-prostituée. Sue trouve donc dans le carton étiqueté "Roza Nervoza" les fils de soie, d'une grande qualité et réputés pour être incassables, et les archives des clients dont les noms sont inconnus et banals ; mis à part un qui revient toutes les semaines : Manassé.

Ce fut sans grande conviction que l'unique agent de Phantasmagoria gagna le fond du poste et poussa la porte des archives. Plongée dans la pénombre et dans la poussière, la salle était aussi exiguë qu'encombrée. Des étagères couvraient les quatre murs du sol au plafond et d'autres encore coupaient l'espace en de minuscules allées presque labyrinthiques. Mieux valait ne pas être claustrophobe pour espérer avoir accès aux vieux dossiers de la ville.

Sue alluma sa lampe torche sur le pas de la porte, promenant le faisceau lumineux sur ce triste décor. Il lui semblait que les vieilleries qui traînaient là-dedans seraient capable de drainer toute sa volonté et toute sa motivation comme autant de vampires de carton et de papiers. Elle expira bruyamment.

-Courage Sue, ce ne sont que quelques centaines de dossiers. Pas de quoi être découragée, marmonna-t-elle pour elle-même.

Son regard se perdit quelques instants sur les empreintes de pas de Sebastian et Celian, encore visibles dans la poussière. Les deux dernières personnes à avoir franchi le seuil de cette porte et à avoir disparu. Sue pouvait encore presque les entendre se chamailler ces deux fantômes de son passé. Comme elle avait vu la petite fille de la forêt et les chiens, comme elle avait vu le petit garçon monter au septième étage, comme elle avait vu la mystérieuse journaliste descendre du train, il lui semblait que si elle restait encore un instant immobile sur le pas de la porte, Eva Kryn, Sebastian Ankil et Celian allaient apparaître devant ses yeux, jouant leurs scènes comme de parfaits acteurs. A cette pensée, elle serra les dents et secoua légèrement la tête.

Ce n'était pas le moment de céder à la mélancolie, ni d'espérer revoir des fantômes. Les morts et les disparus faisaient mieux de rester à leur place, loin des vivants. Loin d'elle et de sa solitude.

La torche illumina plusieurs dossiers aux noms presque effacés. Trop vieux pour être celui qu'elle cherchait. Lentement, méticuleusement, elle passa en revue tous les dossiers. Pendant de longues minutes, sa lampe n'éclaira rien que des noms trop vieux pour lui évoquer quoi que ce soit, quand l'encre n'était pas effacée ou les étiquettes simplement tombées. Mais enfin, alors qu'elle commençait à éternuer de plus en plus régulièrement à force de respirer l'air poussiéreux, le lieutenant trouva ce qu'elle était venu chercher.

-Trouvé.

Un petit sourire triompha sur son visage alors que l'écriture de l'ancienne commissaire disait Roza Nervoza. Sue tira le dossier pour le poser par terre devant elle et s'accroupit pour l'ouvrir. La salle ne contenait plus de table depuis longtemps. Rongée par l'humidité et la pourriture, la dernière en date avait fini au rebut peu de temps après que Sue soit revenue, quand elle avait encore le courage de s'occuper de ce genre de choses et l'espoir que cela servirait à quelqu'un d'autre qu'elle.

Le contenu de la boîte lui mit du baume au coeur. En plus des quelques notes de la Kryn, il y avait un sachet contenant les fils de soie et même le registre tant espéré. Sue referma la boîte et la sortit des archives, pour aller l'étudier à son bureau d'accueil. Compulser le registre lui prendrait sûrement du temps alors en s'installant à sa place, elle se resservit une tasse de café et fit glisser l'ouvrage jusque devant elle comme s'il s'agissait du meilleure roman de la décennie.

Dieu que la lecture était pénible. Des noms en pagaille, des dates à foison et rien qui ne l'intéressait vraiment. En plus, elle perdit du temps à déchiffrer la calligraphie en pattes de mouche et à assimiler le système de notation. Elle avait finit depuis bien longtemps son café quand enfin un élément lui sembla probant. Sur les dates des meurtres, un nom revenait. Manassé. Sue arqua un sourcil. Manassé... Vraiment ? Si elle se souvenait bien de son catéchisme et des histoires que lui racontaient sa mère, ce n'était pas le nom d'un roi ? Un roi "mauvais", ou quelque chose comme ça. Cela ressemblait fort à un pseudonyme, probablement choisi avec soin. Se renfonçant dans son siège en poussant le registre sur la table, Sue laissa échapper un long soupir et se passa une main sur le visage. Comment trouver l'identité de ce Manassé dans de telles conditions ? Est-ce que les anciennes prostituées pourraient le lui décrire si elle retournait encore les voir ? Ou bien devait-elle conclure que ce nouvel élément biblique conduisait bien jusqu'à cette maudite église ? A moins qu'un habitant se soit véritablement appelé Manassé. Ou qu'un illustre inconnu devenu cinglé ait décidé de lancer sa vendetta sous couvert de religion. En définitive, Sue n'était pas beaucoup plus avancée. Néanmoins, elle reprit sa feuille de rapport et compléta.

Rapport du 26 Avril x112 - Lieutenant S. Maryia a écrit:

26 Avril x112

Pièces à convictions ramenées par Eva Kryn : registre du Roza Nervoza et fils de soie.
Un nom revient systématiquement les soirs des meurtres : Manassé.
Aucune autre information probante dans le registre.

Etude à l'oeil nu des fils :

Elle rangea ensuite le bouquin dans la boîte et sortit les fils de soie pour les examiner. Elle ne pouvait malheureusement pas faire grand chose d'extraordinaire par manque de matériel mais cela ne lui coûtait rien d'essayer. Les sortant délicatement de leur sachet à l'aide d'un mouchoir, Sue les observa à la lumière, les manipulant dans tous les sens pour en obtenir le maximum d'informations. S'il y avait des traces de sang dessus, de quelle couleur ils étaient, tout ce qui aurait pu lui être d'une quelconque aide. Quand elle eut terminé, elle les rangea à nouveau et ferma les yeux, bras croisés.

Avait-elle déjà vu quelqu'un ici porter de la soie qui aurait pu ressembler à ces fils ? Qui aurait accès à ce matériau très spécifique à Phantasmagoria ?

Réfléchis, Sue, réfléchis...

Rapport du 26 Avril x112 - Lieutenant S. Maryia a écrit:

26 Avril x112

Etude à l'oeil nu des fils : RAS
Fils d'excellente qualité, résistants.
Normalement impossible à se procurer à Phantasmagoria.
Très onéreux.

Sue laissa tomber son crayon et se renfonça une nouvelle fois dans le fond de sa chaise, se rongeant un ongle. Elle avait beau se retourner les méninges, elle ne voyait vraiment pas où quelqu'un aurait pu se procurer ce genre de fils. Même sa mère, qui avait pourtant prospérée ici ne portait pas de soie. Il fallait donc que cela vienne de l'extérieur. Et l'extérieur, on ne pouvait l'atteindre que par l'approvisionnement fourni par l'église, si on n'en venait pas directement.

Rapport du 26 Avril x112 - Lieutenant S. Maryia a écrit:

Observations

• Deux origines probables : un extérieur ou l'approvisionnement de l'église.

Tout pointait donc vers cet endroit maudit. Sue fronça le nez, contrariée de n'avoir aucune autre piste à suivre. Elle ne voulait pas retourner là-bas. Tout son corps lui disait de ne pas y retourner, la poussière n'y était que cendres et l'air vicié. Les ecclésiastes faisaient peur et ils étaient nombreux. Dangereux. Et sa mère était à leur merci.

Dépitée, Sue lâcha un long soupir et rangea tout dans la boîte pour la rapporter aux archives. Son sac sur une épaule, sa lampe torche coincée entre les dents, elle retourna à l'arrière du poste déposer son butin. Il n'avait plus rien à lui apprendre. Malheureusement, les réponses ne viendraient pas encore aujourd'hui. En même temps, elle aurait du s'y attendre, rien n'était simple à Phantasmagoria. Et puis elle progressait, même si ça n'allait pas aussi vite qu'elle l'aurait voulu, même si elle ne savait pas bien dans quelle direction ça la menait, elle progressait quand même.

-C'est tellement frustrant... lâcha-t-elle en se détournant.

Sa voix, même faible, brisa le silence de la salle de scellés. Les étagères restèrent immobiles sous son regard, témoins muets d'elle ne savait combien d'histoire oubliées. Peut-être qu'un jour, elle prendrait le temps de toutes les éplucher une à une. Peut-être qu'un jour, elle abandonnerait définitivement l'extérieur pour s'enterrer ici avec toutes ces histoires passées.

Qui sait, elle aurait peut-être plus de succès comme ça qu'en courant les rues après les nouveaux ou les Perfide. Cette pensée lui tira un sourire amer alors qu'elle s'aventurait vers le fond de la pièce. Au départ, c'était sans autre envie que de parcourir les rangées de souvenirs une nouvelle fois, mais en arrivant vers les derniers dossiers, une idée avait germé.

Sue se mit alors activement à chercher les registres de la ville, pour une toute autre affaire que celle qui l'occupait jusque là. Elle n'avait rien trouvé de Cassandra à l'église, mais elle n'avait pas pensé à venir la chercher ici. Cassandra, Harmony, les autres, peut-être même Manassé, ils étaient peut-être tous là, leur existence cachée dans l'un ou l'autre des registres auxquels plus personne ne pensait. Pas même la gardienne des lieux...

Mettre de l'ordre sur l'échiquier • Poste de police

Voici les cartons disponibles dans la pièce :
- un carton récent avec comme inscription "Rosa Nervoza". Concerne l'affaire entamé par Eva Kryn au sujet des meurtres perpétués dans la Maison Close sous les yeux de Juben De Ladri ;
- une cinquantaine de cartons datés d'avant 1964, moisis, dans lesquels sont regroupés les anciens journaux locaux. Ces journaux sont illisibles, datant d'avant 1964 ; ils ont pris l'humidité ou sont calcinés. Si Sue les touche, ils risquent de tomber en miettes...
- un carton sur lequel est renseigné "Isabelle", puis par dessus "Phantasmagoria". Sue peut détecter une écriture féminine.

Elle se baladait parmi les dossiers, sa lampe torche éclairant chacune des étiquettes. Cela ne servait pas à grand chose, la plupart étaient effacées, illisibles. Si elle avait eu un stagiaire sous la main, Sue l'aurait collé à l'étiquetage de tout ce fatras. Hélas, aucun stagiaire ne foulerait sûrement jamais ce poste de police. Et pour sa part, elle avait mieux à faire que de s'occuper de ça. Du moins, c'est ce qu'elle se répéta quand elle ouvrit son dixième carton sans y trouver ce qu'elle cherchait.


En désespoir de cause, Sue avait remis sa musique, sifflotant l'air indéniablement romantique qui s'échappait de son téléphone. Elle le connaissait par coeur ce morceau, comme tous les autres, et elle trouvait leurs paroles de plus en plus stupides, sans fondements. Elle continuait à les apprécier, mais elles ne touchaient plus son âme. Ce n'était plus qu'un moyen de se changer les idées et de se souvenir que la vie n'avait pas toujours été ainsi.

Le pied battant la mesure, l'agent de police ouvrit un nouveau carton. Pas d'éléments d'enquête dans celui-ci. Pas même d'araignée ou autres cafards grouillant dans le fond. Cela ressemblait aux coupures de journal qu'elle avait trouvé au kiosque avec Konfety mais en beaucoup plus vieux. Certaines pages étaient calcinées, d'autres simplement moisies, l'encre presque entièrement effacée.

Tout ce qu'elle put deviner furent quelques dates. 19XX - 1964. Etrange. Cela ne correspondait pas à la numérotation de Phantasmagoria et pourtant, il semblait bien que ce soit des journaux locaux. Sue arqua un sourcil et cessa de fredonner.

-On est en x112. Je suis arrivée là ya deux ans. On était en 2008... 2008-110...

Le silence régna de nouveau alors qu'elle se frottait le nez en fermant les yeux. Le calcul mental n'avait jamais été son fort et cela se confirmait.

-1898...

Nouveau petit silence avant l'exclamation agacée :

-Putain, ça colle pas.

Sue souffla par le nez. Les journaux n'étaient pas antérieurs à la datation. La jeune femme reprit son portable en se calant contre une étagère, pour consulter les notes qu'elle avait prise après la conversation avec Konfety. Elle scrolla un peu dans son document jusqu'à s'arrêter sur une date. 13 décembre 1964. La mort de Nemerydh Perfide. Peut-être alors que la datation commençait à sa naissance ? Cela voulait dire que cette Nemerydh était très probablement la mère d'Harmony, la première Perfide connue... Harmony ayant créé Phantasmagoria, il n'était pas impossible qu'elle ait choisi la naissance de sa mère comme date symbolique. Autrement dit... ces documents relataient la vie avant, quand Phantasmagoria n'était pas encore ce qu'elle était aujourd'hui.

Sue replaça son téléphone dans sa poche et laissa échapper un sifflet d'admiration.

-J'ai touché le jackpot on dirait.

Elle revint baisser les yeux sur le carton.

-Dommage que vous soyez en si mauvais état les gars...

Oui, dommage. Parce qu'il y aurait eu de quoi se réjouir autrement, comme au kiosque. Au lieu de cela, Sue referma le carton et chercha dans ceux adjacaents pour regrouper tous ceux qui contenaient des coupures de journaux. Sur les boîtes, avec l'aide de son stylo, elle nota :

Lieutenant S. Maryia a écrit:

Journal local - Antérieur à 1964 - Fragile

Elle rajouta de grandes croix sur leurs faces pour pouvoir les repérer plus rapidement la prochaine fois. Les rangeant avec délicatesse ensuite, elle continua son petit tour. Ce qu'elle cherchait était un registre, les actes de naissance, pas des vieux journaux à peine exploitables d'un temps bien trop reculé.

Sur la suite, elle n'eut pas beaucoup plus de chance. Plus rien d'intéressant n'apparaissait quand elle soulevait l'un ou l'autre des couvercles. Jusqu'à ce qu'une boîte attire son attention. Là, l'étiquette était bien lisible. Isabelle. Ce nom ne lui disait trop rien, mais la mention juste au-dessus de Phantasmagoria lui fit froncer les sourcils et apporter une attention toute particulière à la boîte.

La policière coinça sa torche entre ses dents encore une fois et sorti le carton à deux mains pour le poser par terre et s'asseoir en tailleur devant pour l'ouvrir, curieuse de voir ce qu'il recelait.

Mettre de l'ordre sur l'échiquier • Poste de police

Dans le carton sur lequel est écrit "Isabelle" et en plus visible "Phantasmagoria" se trouvent différentes piles de feuillets dont certains sont regroupés ensemble par des trombones.

1er feuillet :
Le premier feuillet est introduit par une vieille photo de l’Église prise depuis le cimetière, ainsi que de quelques ecclésiastes au regard jeune.

2ème feuillet :
Le deuxième feuillet ne possède pas de photo, mais la première feuille est marquée d'un grand "Perfide" qui prend le tiers de la page du haut. Ce mot est entouré d'un gros trait jaune, et quelques photos y sont glissées.

3ème feuillet :
Le troisième est surtout un petit paquet de photos qui ne sont pas attachées ensemble mais qui semblent toutes avoir été prises au même endroit : Roza Nervoza, quand elle était encore debout.

4ème feuillet :
Le quatrième feuillet est introduit par une photo représentant une jeune fille, accrochée par un trombone :


Il y a également des photos en vrac du village et de ses rues désertes, de la forêt, de l'hôpital, et d'un autre endroit que Sue ne peut pas identifier.

Assise dans la poussière, le carton ouvert devant elle, Sue n'en croyait pas ses yeux. La lumière de sa torche vacillait parce que sa main tremblait, projetant sur le mur du fond un clignotement chaotique semblable aux ailes d'un papillon. Et son coeur, ô son pauvre coeur, battait sur le même rythme infernal.

Elle avait parcouru le premier feuillet sans grande conviction, apercevant simplement qu'il parlait de l'église et de ses maudits habitants grâce aux quelques photos épinglées, puis l'avait laissé tomber dans le couvercle. Là, ses yeux s'étaient arrondis de stupeur et son coeur avait cessé de battre un instant, alors qu'un frisson glacé la parcourait. Perfide. Le mot était si grand, si fort avec son encadré jaune, que c'était comme si on le lui avait crié à l'oreille. Comme si lire leur nom sur une feuille de papier avait suffi à les invoquer tous. Harmony, Nevroze, Kräjen... Cassandra. La survivante sentait leur présente tout autour d'elle comme un mauvais présage. Alors elle avait saisi le feuillet d'une main mal assurée pour le sortir de la boîte et voir ce qui se cachait en-dessous. Nouveau choc en reconnaissant la façade du Roza Nervoza debout et entier au milieu d'autres photos. Et encore dessous, un dernier feuillet sur la fameuse Izabelle référencée sur la boîte. Sue n'avait pas été plus loin, jugeant qu'il s'agissait du dernier document intéressant.

Cela faisait plusieurs minutes qu'elle se tenait là devant la boîte éventrée et ses secrets encore presque intacts autour d'elle. Cela faisait plusieurs minutes qu'elle ne savait plus quoi faire, sa main libre portée à ses lèvres pour les cacher et étouffer le cri qui restait bloqué dans sa gorge mais menaçait de sortir à tout instant.

C'était formidable. Grandiose. Inconcevable ! Trois dossiers sur quatre concernaient des questions et des énigmes qui l'occupaient depuis près de deux ans. Et tout ça... tout ça se trouvait sous son nez ! Littéralement à une salle près de l'endroit qu'elle fréquentait tous les jours. Une salle où elle avait déjà mis les pieds sans le voir ! Elle avait peine à le croire. C'était... trop beau pour être vrai.

Elle en aurait pleuré de joie tant cette découverte lui provoquait de soulagement. En fait, elle n'en était vraiment pas loin. Dans la pénombre des archives, ses yeux brillèrent d'humidité. Mais quelque chose l'empêchait de se réjouir totalement et de se jeter sur les dossiers sans réfléchir. Son instinct, cette petite voix pas toujours dans le vrai qui l'avait gardée en vie jusqu'ici. La peur n'évite pas le danger, mais à Phantasmagoria, elle garde en vie. Sue l'avait bien appris à ses dépends et à ceux des autres. A force de voir mourir ou disparaître toutes les personnes qui ne se fiaient pas à cette petite voix, qui la surmontaient trop bien, le lieutenant était peut-être devenue un peu plus lâche qu'avant, mais elle était encore là pour en témoigner. Les héros ne faisaient pas long feu ici bas.

Alors oui, elle avait peur et elle hésitait. Mais elle se souvenait aussi de ce qui était arrivé quand elle avait tenu le journal d'Harmony entre les mains. Les petits monstres brûlés s'étaient manifestés, l'avaient chassée et si aucun phénomène étrange n'avait eu cours au commissariat, rien ne garantissait que cela n'arriverait pas. Et quand bien même... la trouvaille méritait bien quelques minutes de réflexions avant d'être profanées.

Lorsque l'agent finit par se calmer, ses doigts quittant ses lèvres pour effleurer le carton du dossier, son murmure brisa le silence :

-Putain de merde...

Un nouveau frémissement la secoua de pied en cape, achevant de la sortir de sa léthargie. Par habitude, elle leva les yeux pour balayer les archives du regard, s'assurant que rien n'avait bougé ou changé puis jeta un oeil à sa lampe. Les piles ne montraient pas encore de signe de faiblesse particulier mais Sue se rappela qu'il était préférable de les économiser. Alors, après avoir secoué la tête pour se remettre les idées en place, elle remit les feuillets dans le carton et quitta la pièce avec, pour retourner s'asseoir à son bureau. Là où elle pourrait tout éplucher à la lumière du jour.

Dans le couloir qui la ramenait à l'accueil, elle rangea sa torche et observa le carton sous toutes les coutures, cherchant si par hasard celle qui l'avait rempli avait laissé un nom ou une date. Dans le même temps, son ventre se mit à grogner d'impatience, visiblement réveillé par les émotions vives de la jeune femme. Sue posa le carton sur le bureau et observa son téléphone. Ah. Oui. Il indiquait midi passé d'une bonne demie-heure.

En s'asseyant de nouveau, elle fouilla dans son sac pour en sortir son déjeuner : un vague sandwich sans goût de l'épicerie. Elle le mangea rapidement, trop pour en apprécier le manque de saveur et se reconcentra sur le trésor qu'elle avait déniché. Manquant de patience et comme on pouvait s'y attendre de sa part, elle écarta le premier feuillet pour s'intéresser en priorité au deuxième, au dossier Perfide, et l'étudier avec le plus grand soin.

Le visage de l'agent s'était fermé au fil de son étude. Il y avait dans les pages classées "Perfide" des croquis de Nevroze, enfant. Avec ses grands yeux et ses couettes caractéristiques. Rien que cela, c'était assez dérangeant. A vue de nez, Sue s'estimait plus ou moins du même âge que Nevroze, mais elle ne l'avait imaginée enfant. Elle ne se souvenait pas l'avoir jamais croisée gamine pendant ses vadrouilles ici et là dans le village et sa mère lui contait son histoire depuis... depuis toujours lui semblait-il. Comme si Nevroze avait toujours été là, comme si la sorcière avait toujours terrorisé tout le monde depuis des siècles et des siècles.

Elle machouilla nerveusement le bout de son stylo, réalisant que peut-être l'histoire de Phantasmagoria et toutes les histoires qui avaient bercées son enfance et conditionné sa peur de Nevroze n'étaient pas si... immuables qu'elle ne l'avait songé. Il y avait un début à cet enfer, un début qu'elle dépoussiérait fragment par fragment, mais alors il y aurait aussi sûrement une fin.

Sue se raccrocha à ce nouvel espoir et laissa son regard dériver sur les notes jouxtant les dessins. L'auteur mystère de ces annotations et de ce carton confirmait ce qu'elle avait deviné avec le carnet d'Harmony : Cassandora était la mère de Nevroze. Et il lui était bien arrivé quelque chose... En sachant que Nevroze avait volé un pistolet (celui de la journaliste arrivée par le train avec son air décidé ?), l'imagination de Sue recolla rapidement les morceaux avec la comptine du village. Nevroze aurait bien tué sa mère, comme dans les légendes.

-Qu'as-tu donc fais pour t'attirer leurs foudres Cassandora..?

Le lieutenant leva les yeux, songeuse pendant quelques minutes dans le silence du commissariat. Les pièces du puzzle se mettaient en place à une lenteur diabolique tandis que son cerveau tournait lui à plein régime pour chercher des liens entre tout les éléments. Si seulement elle avait pu discuter avec cette journaliste... Hélas, elle avait eu la confirmation de sa mort en suivant son fantôme et elle n'était pas très motivée pour se tenter des petites séances de ouija à Phantasmagoria...

Mécaniquement, Sue rangea les feuillets concernant le monstre nommé Nevroze et s'attaqua au suivant. Celui rattaché à la maison close qui ironiquement se trouvait être le sujet de toutes ses attentions ces derniers temps. En plus d'être une sacré épine dans le pied -et à son orgueil d'agent de la loi, pour ce que cela pouvait valoir ici bas.

Mettre de l'ordre sur l'échiquier • Poste de police

Dans le carton sur lequel est écrit "Roza Nervoza" se trouvent diverses photos polaroid sur lesquelles Sue pourra reconnaitre Juben de Ladri, aux traits plus jeunes et arborant un style bien plus extravagant : chemise blanche ornée d'un jabot de dentelle, relevée d'une veste en velours noir et d'un pantalon noir mettant en valeur sa grande taille svelte, cheveux longs maintenus par un ruban de soie noir, et devant lui un piano dont le bois doit désormais reposer sous les ruines ; ou bien en compagnie de demoiselles vêtues de robes bouffantes colorées, tantôt blondes, tantôt brunes, et visages dissimulés derrière un masque de carnaval. Semblant dans la discussion, Juben toujours debout face à ses filles, mais toujours avec élégance.

Pour ce carton, pas de notes, mais d'innombrables photos mettant en avant les filles et leur propriétaire, sans que jamais leur regard ne croise celui de l'appareil.

Par moment, Sue pourra déceler sur certaines photos l'ombres d'hommes masqués dans l'ombre, fuyant l'immortalisation, et probablement la preuve irréfutable de leur présence en ces lieux ; visage dissimulé sous un chasuble et tenue similaire à celui de Juben.

Enfin, la dernière photo immortalise deux hommes éloignés dans le coin gauche du cadre, mains droites serrées l'une dans l'autre. L'un, vu de face, porte une veste noire transparente et jabot de la même teinte, pantalon de même teneur, et cheveux retenus dans le dos par un ruban, l'autre, vu de dos, porte une cape à capuche rabaissée, cheveux dégarnis et grisonnant et visage ridé bien que les traits soient encore relativement jeunes ; et avec cela un air familier qui n'échappera pas à l'agent de police.

Sue observait les clichés, concentrée sur ces scènes si pleines de vie qu'elles lui paraissaient tiré d'un autre monde. Y avait-il seulement eu autant de monde à Phantasmagoria un jour ? Aujourd'hui, tout lui semblait si vide. Les voisins disparaissaient du jour au lendemain et les appartement restaient de moins en moins longtemps occupés. Un jour, il ne resterait peut-être plus qu'elle dans ce maudit immeuble 7 à jouer les gardiennes du septième étage et à tenir compagnie aux fantômes.

Elle regardait les photos comme on regarde un film muet : en imaginant les bruits et les rires qui devaient régner au Rosa Nervoza ; en imaginant les histoires qui précédaient et suivaient les clichés. Elle se demandait toujours qui avait pu les prendre, qui était cette Isabelle qui avait signé la boîte et l'avait remisé là où personne n'avait eu l'idée d'aller la chercher avant ce jour-là. Un visage sur la dernière photographie finit par lui faire oublier toute question.

-Merde... Mais c'est l'autre cinglé...

En effet, le faciès tenu dans la pénombre à la carrure dangereux était celle de l'autre cinglé : le Père Orosco qui lui avait fait prendre la pleine mesure du fanatisme Perfide de cette ville. Sue avait enfin une réponse. Une très désagréable réponse. Elle ne pourrait jamais rendre justice si l'église était impliquée dans les meurtres... Pas à moins de mettre sa propre vie en jeu et toute courageuse qu'elle pouvait être dans le feu de l'action, elle ne s'imaginait pas aller s'offrir en pâture à ces grands malades. Il suffisait de relire leur mode opératoire pour tuer les jeunes victimes de la maison close pour comprendre que se tirer soi-même une balle entre les deux yeux était encore préférable à aller affronter ces diables en bure de moine.

La seule chose qui restait en son pouvoir restait de consigner ses observations pour compléter le dossier d'Eva Kryn. Classer l'affaire au moins dans son esprit et pour ceux qui viendraient après elle, comme l'avait fait cette mystérieuse Isabelle qui venait de l'aider à résoudre son enquête. Se munissant à nouveau de son style, Sue se remit à l'écriture :

Rapport du 26 Avril x112 - Lieutenant S. Maryia a écrit:

26 Avril x112

Des photographies retrouvées dans le carton "Phantasmagoria - Isabelle" montrent la présence régulière d’Ecclésiastes au Rosa Nervoza, dont un que j'ai déjà rencontré à l'église St Maria : le Père Orosco ; serrant la main de J. de Ladri.

Les différentes preuves accumulées tendent à le rendre coupable de la série de meurtres. Hélas, je crains de ne pas pouvoir appréhender l'individu moi-même. Je suis le seul agent encore en poste et je crois que les vivants ont davantage besoin de mes services que les morts. Si je m'aventure à nouveau dans l'église, j'ai peur de ne plus jamais en sortir...

Consciencieuse jusqu'au bout, elle joignit le feuillet de photos au dossier, entourant la silhouette du père Orosco avant de tourner le cliché et d'inscrire son nom au dos, ainsi que la mention "pièce à conviction n°3", les deux premières étant le fil de soie et le registre où Manassé revenait régulièrement. Il n'y avait toujours rien pour lier le père Orosco à ce nom obscur dans les documents qu'avait trouvés Sue, cependant elle se rappela que l'un des feuillets qu'elle n'avait pas encore examiné était justement centré sur l'église, avec de nouvelles photos. Peut-être Isabelle avait-elle annoté certaines d'entre elles... En tout cas si elle avait jugé utile de regrouper ces clichés là, il y avait forcément une raison. Et Sue comptait bien découvrir laquelle lorsqu'elle tira le feuillet à elle.

Mettre de l'ordre sur l'échiquier • Poste de police

Le carton sur lequel est écrit "EGLISE" contient de nombreux polaroids des lieux extérieurs et intérieurs.

L'extérieur de l'église

Les photos portées sur l'extérieur sont rares. Le cimetière y est omniprésent, magnifié par des couleurs contrastées de noir et de blanc. Maculé de neige immaculée, il rend hommage à ce qu'il a toujours représenté : la tristesse d'une perte, et la solitude des lieux.

L'intérieur de l'église

Les photos sont nombreuses, et diverses. Certaines se concentrent sur la bâtisse en elle-même, zooment sur les différents lieux, principalement la nef, le cœur et les vitraux. A ce sujet, Sue pourra, si elle se concentre dessus, constater que les vitraux ne représentent pas la même chose que ce qu'elle a put voir lors de sa dernière visite à l'église. Tandis que les vitraux semblent désormais représenter l'histoire de Phantasmagoria, les vitraux présents sur les photos représentent l'histoire du Christ et de la Bible comme elle a pu l'apprendre à l'extérieur de Phantasmagoria.

Les autres photos mettent en scène certains personnages illustres de l'église :
- les Sœurs et le Père Orosco en pleine communion, une jeune femme aux longs cheveux noirs ondulés habillée de blanc penchée au premier rang, mains jointent en plein communion ;
- les Sœurs et Père Orosco en pleine discussion devant l'autel, une femme aux longs cheveux ondulés de jaïs agenouillée, de profil, les yeux fermés et le visage penché vers le sol ;
- Père Orosco offrant la communion à ses fidèles.

Et plus encore :
- La femme aux longs cheveux de jais agenouillée face à l'hôtel, les yeux levés vers le ciel. La photo est prise de face.
- La femme aux longs cheveux de jais, la main portée sous un ventre bien portant et bien arrondis, le visage baigné de larme.
- Père Orosco penché au dessus de la femme aux longs cheveux de jais, la main posée sur le dessus de son crâne. Celle-ci est agenouillée, le visage fermé.

Sur ces photos, Père Orosco semble avoir 20 ans de moins. Les Sœurs sont jeunes également, et la femme aux longs cheveux de jais est jeune elle aussi. Toujours vêtue de cette unique longue robe de soie blanche.